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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/512

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facultés morales, un changement radical du caractère et, en même temps, la formation d’une personnalité suffisamment riche, d’un groupe suffisamment complexe et unifié d’éléments, je n’hésiterais pas à trouver la nouvelle personnalité parfaitement responsable des actes qui seraient produits conformément aux nouvelles tendances, et qui dériveraient logiquement de la nouvelle personnalité. Mais en même temps l’ancienne resterait dans notre souvenir ce qu’elle était jadis. Elle n’est pas responsable de l’accident qui lui est arrivé, et qui l’a fait disparaître, pas plus qu’elle ne serait responsable d’un accident qui aurait détruit le corps au lieu de désorganiser l’esprit. Si l’accident, au lieu de tuer, transforme ce qui a existé autrefois, il n’a plus de responsabilité à supporter, mais le nouveau système formé a sa responsabilité propre.

C’est ce qui arrive avec les influences sociales ; quand ces influences développent chez un individu des tendances qui existent déjà en lui, sans changer leur mode général de groupement, sans modifier sensiblement leur orientation, sans faire passer un homme de l’humilité à l’orgueil (à moins que ce changement ne soit le résultat logique du développement de la personnalité), la nature primitive de l’individu est responsable en même temps que la société et du changement et de ce qui s’ensuit. Sinon, la nature primitive reste hors de cause, mais la personnalité produite par la société est responsable d’elle-même, comme la société l’est aussi pour son compte. Il n’y a pas lieu d’essayer de nous attendrir sur le sort de Blin, assassin. Je ne sais s’il aurait pu dans d’autres circonstances être un honnête homme ; étant enfant, il était « gentil », paraît-il. Cela ne signifie pas grand chose, mais supposons à ce mot une portée qu’il n’a pas, nous avons le droit de regretter l’enfant gentil, nous avons le devoir de blâmer et d’essayer d’améliorer dans la mesure de nos forces la société qui a détruit cet enfant, mais nous avons à juger cet homme criminel, et le fait qu’il a été gentil autrefois ne change rien à sa nature actuelle. Si c’est cette nature qu’il nous faut apprécier quand nous sommes en face d’un malfaiteur, si la perversion est complète, si nous ne trouvons pas en lui le germe de bons sentiments à développer, si son crime est bien le résultat de sa nature propre et l’expression de sa personnalité, la suppression de cette personnalité s’impose. Nous verrons ailleurs si cette suppression doit être faite froidement et sans colère comme on tend à le croire et si la « vindicte sociale » est aussi ridicule que beaucoup de gens se l’imaginent ; quoi qu’il en soit, nous ne pouvons blâmer la société sans blâmer l’homme qu’elle a produit et qui est du reste une sanction de la faute sociale, le meurtrier punissant la