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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/614

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chose ; et plus que dans toute autre science, le talent de composer et d’écrire y marque des différences profondes entre les théories les plus semblables. Les défenseurs du Système de la Nature ne feront aucune difficulté d’avouer que les qualités personnelles de M. Herbert Spencer sont éminentes, et que d’Holbach écrivain fait petite figure à côté de lui. Il n’a pas cette riche et puissante imagination. qui fait fleurir à chaque page dans les ouvrages de M. Spencer, les exemples les plus variés et les développements les plus abondants. Il n’a pas cette richesse de métaphores scientifiques qui semblent revêtir comme un ornement naturel les moindres détails d’un système. Il lui manque et cette immense érudition qui lui permet d’appuyer tous ses dires sur des récits de voyageurs, et cette force de travail qui entasse sans fatigue les in-octavo sur les in-octavo. Il n’a pas enfin cette facilité à trouver des formules analogues à celles de la physique ou de la physiologie pour résumer d’une façon frappante. les points importants de sa doctrine. Certes, tous ces dons de l’esprit assurent une grande supériorité à celui qui les possède, et donnent à ses œuvres un aspect singulièrement solide et brillant quand il les présente au public. Mais ces qualités, pour remarquables qu’elles soient, n’en demeurent pas moins choses extérieures à la science, et que la critique doit déduire. L’incontestable supériorité des Principes sur le Système de la Nature est avant tout celle des talents divers de M. Spencer sur l’esprit sec et net du baron d’Holbach.

Il y a pourtant dans le Système des pages dignes d’un écrivain du premier ordre ; et c’est tout simple, dit Grimm, car ces pages sont de Diderot. Quoi qu’il en soit de cette médisance, d’Holbach possède. aussi des qualités moins brillantes, mais qui sont bien à lui, car elles se manifestent sans défaillance d’un bout à l’autre de son œuvre je veux parler surtout de la rigueur avec laquelle il enchaîne tous les détails de sa philosophie. Le titre qu’il a choisi ne dit rien de trop ; c’est véritablement un système, une synthèse totale des idées scientifiques et des idées morales de son époque que d’Holbach a voulu construire. Lui aussi pourrait définir sa philosophie : « le savoir complètement unifié[1]. » Cela même fait sa grande supériorité sur les autres philosophes de son époque qui professaient les mêmes doctrines ; il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir le traité de l’Homme ou le célèbre livre de l’Esprit. Son disciple Volney lui-même, qui d’ordinaire reproduit assez fidèlement la doctrine du maître, a été bien mal inspiré quand il a voulu orner sa morale d’un vague déisme, aussi superflu d’ailleurs que mal justifié. Il n’a pas vu que la force du

  1. Premiers Principes, II, 1.