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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/625

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a. lalande. — quelques idées du baron d’holbach

giques qu’il peut recueillir ! Comme on sent qu’il eût jeté à pleines mains dans son œuvre, si la science eût pu les lui fournir alors, les abondantes moissons de faits naturels et de coutumes sauvages qui illustrent les écrits de M. Spencer ! Lui aussi a le goût de l’exemple pratique et familier ; il aime, comme l’auteur de la Morale évolutionniste, à partir de la définition du bon parapluie pour en tirer celle de l’homme bon. Il a comme lui cette certitude tranquille qui n’hésite jamais et qui puise son abondance et sa facilité dans la conscience qu’elle a « d’apercevoir la vérité suprême ». Il ne cherche pas, il enseigne ; s’il avait le malheur d’être pape, comme disait l’abbé Galiani, tous les rationalistes seraient excommuniés.

Et pour achever la ressemblance, un singulier hasard a résumé l’idée mère de cette philosophie, c’est-à-dire sa conception de l’homme et du monde, dans deux textes qui se font pendant d’une façon presque symétrique. Voici d’abord le début de la Morale évolutionniste : « Il est impossible de concevoir l’idée d’un tout sans faire naître aussitôt l’idée des parties qui le constituent et l’on ne peut pas davantage concevoir l’idée d’une partie sans provoquer aussitôt l’idée de quelque tout auquel elle appartient. Mais il faut ajouter qu’on ne saurait avoir une idée correcte d’une partie sans avoir aussi une idée correcte du tout correspondant… Si l’on pense à une partie sans la rapporter au tout, elle devient elle-même un tout, une entité indépendante, et l’on se fait une idée fausse de ses rapports à l’existence en général ; et en outre on apprécie mal la grandeur de la partie par rapport à la grandeur du tout, si on se borne à reconnaître que celui ci contient celle-là, si on ne se le représente pas exactement dans toute son étendue. »

Et voici maintenant l’épigraphe du Système de la Nature : « Naturæ rerum vis atque majestas in omnibus momentis fide caret, si quis modo partes ejus, ac non totam complectatur animo. » La coïncidence est fortuite sans doute, mais elle a sa raison d’être dans la nature même des choses ; les termes sont identiques, parce que les doctrines sont semblables dans le fond. Les adversaires de d’Holbach l’ont trop longtemps traité par le mépris, au grand avantage de ses disciples. S’ils l’avaient lu plus attentivement, ils auraient dû reconnaître que ce système, si rigoureux et si cohérent, a mené l’empirisme, sur les points les plus essentiels, à des solutions que d’autres ont mieux défendues, mais qu’ils n’ont point modifiées. Ils peuvent lui accorder cette gloire, car il leur reste une réserve à faire, — et qui est capitale : c’est qu’il y a peut-être une autre philosophie que celle-là.

André Lalande.