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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/633

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g. sorel. — essai sur la philosophie de proudhon

des caprices et des prétentions individuelles, mais d’après leur place dans la production sociale.

Proudhon est souvent revenu sur la question des moyennes ; il a fait observer que, d’un homme à l’autre, les différences n’étaient jamais très grandes dans l’industrie ; il reconnaît parfaitement que les hommes sont inégaux, que par suite ils doivent recevoir des salaires proportionnels aux produits livrés par eux ; mais les travailleurs sont tous de la même espèce et dans cette même espèce les variations sont petites.

Il est fâcheux que notre philosophe n’ait pas connu les recherches statistiques de Quételet ; elles lui auraient permis de donner plus de précision, encore, à ses raisonnements. La preuve est aujourd’hui faite la considération de l’homme moyen est parfaitement justifiée par l’arithmétique sociale ; le temps que le travailleur moven met à faire une chose est une réalité et une mesure parfaitement scientifique.

II

Il nous faut maintenant revenir sur la question du travail.

Nous avons dit que le travail était une conséquence fondamentale de notre constitution, mais il existe dans l’homme un défaut d’équilibre[1] : « La faculté de consommer est illimitée, tandis que celle de produire ne l’est pas. Cela tient à la nature des choses : consommer, dévorer, détruire, faculté chaotique, négation indéfinie[2] ; produire, créer, organiser, donner l’être et la forme, faculté positive, dont la loi est le nombre et la mesure, c’est-à-dire la limitation. »

Les économistes avaient observé, depuis longtemps, qu’il existait une cause de désordre dans le monde, que la consommation tendait à dépasser de beaucoup les moyens de subsistance et ils avaient dit que le remède essentiel de la misère résidait dans le ralentissement du processus de la population. La solution proposée par Malthus, sous le nom de moral restreint, est toujours restée fort obscure ; on y a vu généralement une pratique condamnée par toutes les églises.

Malthus observait, avec une certaine raison, qu’un groupe animal, trouvant des subsistances suffisantes, tend à se propager suivant une progression géométrique ; le doublement ayant lieu au bout d’une vingtaine d’années pour l’espèce humaine. Cette thèse est aujour-

  1. La guerre et la paix, t.  II, p. 126.
  2. Cette puissance indéfinie de consommation tient à ce que ce phénomène est psychologique, tout comme le travail. L’homme se distingue des animaux aussi bien par la consommation que par la production.