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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/68

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des satrapes. Il préféra vivre libre en exil dans ce rude pays où il devait faire tant de bien et laisser un souvenir impérissable.

Son activité ne fut point entravée par la dureté des premiers temps et la rigueur du climat. Tout en étudiant les mœurs et la langue du pays, il fonda en 1824, à Philadelphie, où il passa quelques mois, un journal dont le format et l’impression permettaient de l’envoyer sous enveloppe, comme les lettres ordinaires : El Habanero, papel politico, cientifico y literario, redactado por Felix Varela. On le lut avidement à la Havane, malgré la vigilance de l’administration et la mise à l’index par Ferdinand VII. Comme aucune mesure du pouvoir ne pouvait arrêter la propagande, un sicaire fut expédié à New-York pour assassiner le proscrit (mars 1825). C’est à la suite de cette entreprise que le président de la République du Mexique lui offrit l’hospitalité et mit à sa disposition un vaisseau de guerre pris aux Espagnols. Varéla refusa et se remit au travail. En 1824, avait paru une nouvelle édition de ses Leçons de philosophie, très améliorée dans la partie consacrée à l’histoire naturelle. II donna peu après la traduction du manuel de Jefferson sur la pratique parlementaire, avec notes critiques, à l’usage des nouvelles républiques américaines ; mettant à profit sa courte expérience de la vie politique pour commenter utilement ce cours de droit parlementaire. La même année (1826), il traduisit les Éléments de chimie appliquée à l’agriculture par H. Davy, en vue d’améliorer l’industrie agricole de Cuba. En 1827, troisième édition des Mélanges philosophiques, son ouvrage de prédilection. Il donna aussi quelques articles à une feuille hebdomadaire que dirigeait son ami D. José Antonio Saco, le même qui lui avait succédé dans sa chaire de philosophie, et dont le nom est un des plus illustres de l’île de Cuba. C’est ainsi que les proscrits préparaient sur la terre d’exil le réveil des esprits de leurs compatriotes.

La carrière pastorale de Varéla appartient à l’histoire ecclésiastique. Il se partageait entre la prédication, l’instruction des enfants et les œuvres de charité, et se reposait dans l’étude et la composition. Cet homme doux et énergique ne se départit jamais de sa douceur et sut user de son énergie, pour faire respecter son, ministère et sa personne, dans un milieu où la tolérance, consacrée par la loi, n’était pas toujours dans les mœurs. Il excellait dans la controverse : ses adversaires, les pasteurs protestants, apprirent à connaître la puissance de sa dialectique et les ressources de son esprit éclairé par un grand savoir. Il se plaisait à mettre en relief l’inconséquence des partisans du libre examen qui aboutissent, comme tous les sectaires, à la formule exclusive : « Hors de l’Église, point de salut ». Au nom de la liberté, il sut défendre ses droits et ceux de ses coreligionnaires, et sa réputation devint de la popularité. Cet apôtre de la tolérance ne voulut être qu’un ouvrier laborieux dans la vigne du Seigneur : avec autant de modestie que de fermeté, il déclina les honneurs de l’épiscopat. À