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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/81

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ANALYSES.f. pillon. L’Année philosophique.

Ce problème historique une fois résolu, M. Pillon passe à la critique des idées d’infini et de parfait. Il examinera successivement ces deux idées, qui se rapportent l’une à la quantité, l’autre à la qualité, et la critique sera d’abord psychologique, puis logique. La critique psychologique de l’idée d’infini a été très bien faite par Hamilton, et il ne semble pas que contre cette critique l’argument « grammatical (le fini est négatif ; l’infini nie la négation, il est donc positif) puisse prévaloir. L’infini sans bornes, sans limites, etc., est simplement le pur espace, et une représentation de l’espace pur, infini, est impossible et contradictoire, « attendu qu’à toute image formée dans l’esprit doit correspondre, par la nature des choses, une réalité spatiale limitée, c’est-à-dire une figure ». Au point de vue logique, la démonstration a été donnée souvent par le criticisme : elle se résume ainsi. « Le nombre infini, puisqu’on le dit nombre, est pair ou impair, premier ou non premier, et pourtant doit exclure à la fois toutes ces suppositions ; il doit avoir son carré, son cube, etc., et par conséquent n’être pas le plus grand possible, ou être égal à des nombres plus grands que lui-même. C’est un amoncellement d’absurdités palpables. » Galilée l’avait prouvé déjà. Les auteurs des Deuxièmes objections l’ont aussi très clairement dit à Descartes : mais il a fallu que M. Renouvier vînt, pour que les conséquences métaphysiques de cette démonstration fussent mises en lumière. Et elles sont nombreuses et importantes. Car si l’infini de nombre est impossible, l’infini de grandeur mathématique quelconque est impossible ; donc le monde a eu un premier commencement, donc le monde n’est pas infini, quoi qu’en aient pensé Descartes et Pascal. On est ainsi conduit à reconnaître l’idéalité de l’espace. M. Pillon montre avec profondeur (p. 110) comment la doctrine de Descartes sur l’infini et l’indéfini est étroitement liée à sa distinction de la substance pensante et de la substance étendue, et il conclut « L’infini était une idée claire et nécessaire pour Descartes et ses disciples, et devait être affirmé au xviie siècle, en vertu du principe cartésien de l’évidence ; c’est la négation de l’infini qui est aujourd’hui une idée claire et nécessaire pour les disciples du nouveau criticisme ».

La question de l’infini ainsi résolue, la critique de l’idée de parfait devient plus facile. Elle consiste essentiellement à dissiper la confusion qui tend naturellement à s’établir entre ces deux idées. L’une appartient à l’ordre de la quantité, l’autre à celui de la qualité ; mais nous nous laissons aller, si nous n’y prenons garde, à nous représenter, quantitativement ce qui est qualitatif. Nous parlons alors de mesurer des degrés de perfection, comme on mesure des parties d’étendue ; nous nous imaginons comprendre que la perfection croît comme un nombre ou comme une grandeur, et nous finissons par spéculer sur une perfection infinie, « chose presque aussi absurde qu’un cercle carré ou qu’un jugement rouge » (p. 115). C’est la même illusion qui nous fait constamment introduire des métaphores psychologiques dans le domaine de la quantité (physique des anciens et des scolastiques), et aussi