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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/83

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ANALYSES.f. pillon. L’Année philosophique.

dait Descartes dans sa preuve, se trouve atteint : de ce côté encore, la preuve apparaît ruineuse, quand on a dissipé la confusion qu’engendrent les images spatiales (l’imagination, dans la langue de Descartes) appliquées « à des choses à qui elles n’appartiennent pas ».

Pour compléter sa critique de l’idée de parfait, M. Pillon examine enfin l’idée de science parfaite, ou de « toute-science », où peuvent peut-être se rencontrer et coïncider les idées de parfait et d’infini. C’est encore une illusion, car la connaissance (en Dieu) peut bien être parfaite, mais elle ne saurait être infinie, c’est-à-dire s’étendre à une infinité d’objets, puisque le nombre infini est contradictoire. De même, si la connaissance divine peut être dite parfaitement certaine, il est absurde cependant de soutenir que cette certitude est « infinie », comme si l’imparfait pouvait devenir parfait par un accroissement quantitatif, comme si « l’erreur et le doute étaient à la parfaite certitude ce qu’une durée finie est au temps sans bornes, ce qu’une étendue finie est à l’espace illimité ». Et à ce propos M. Pillon combat avec vivacité la théorie de Victor Cousin selon laquelle l’erreur serait une vérité partielle, incomplète. L’erreur est un jugement faux, comme l’a très bien vu Descartes, et il dépend de la volonté d’éviter l’erreur en suspendant le jugement.

Terminons en disant que cette sèche analyse ne peut donner une juste idée de l’essai de M. Pillon, qui décourage le compte rendu par l’abondance des idées semées chemin faisant, et dont l’ordonnance logique, dissimulée sous une allure un peu sinueuse, fait repasser sous les yeux du lecteur quelques-unes des principales thèses du criticisme.

III

M. Dauriac étudie la philosophie du regretté Guyau, et plus particulièrement son esthétique, d’après ses œuvres posthumes et aussi d’après le livre de M. Fouillée : La Morale, l’Art et la Religion d’après J.-M. Guyau. Il semble que M. Dauriac s’accorde plus aisément avec Guyau critique littéraire, qu’avec Guyau moraliste et sociologiste. II n’a rien à reprendre aux chapitres où Guyau parle, avec tant de finesse et d’originalité, de l’œuvre de Victor Hugo, ou du roman psychologique : mais il n’accepte pas sans de graves réserves la définition du génie artistique comme puissance de sociabilité, et de l’émotion esthétique comme émotion de sympathie. La virtuosité même avec laquelle Guyau soutient sa thèse effraye un peu M. Dauriac, qui craint de se laisser séduire. Lorsqu’il en vient à considérer l’œuvre dans son ensemble, il rend ample justice à l’éclatant mérite de ce penseur si prématurément enlevé à la France, à l’originalité de ses idées, à son style brillant et « ailé », à son imagination de poète, à sa noble passion pour les questions suprêmes ; mais il ne le voit pas sans inquiétude rejeter comme surannée toute métaphysique dogmatique, conseiller aux philosophes de traverser toutes les doctrines sans s’arrêter à aucune, et les mettre