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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 33.djvu/90

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est donnée par l’induction qui par suite est le seul procédé logique primitif, irréductible. S’il n’y a qu’une seule méthode, c’est qu’à dire vrai il n’y a qu’un seul ordre de sciences. C’est par un préjugé, né d’une ignorance historique, qu’on distingue les sciences mathématiques des sciences physiques et naturelles. Toutes les sciences commencent par l’observation et tendent à prendre la forme déductive. Les mathématiques sont arrivées les premières à ce but parce qu’elles avaient l’objet le plus simple. Quand la physique sera devenue un ensemble de corollaires des lois de la mécanique, on aura sans doute l’illusion qu’elle ne s’est pas faite inductivement. La logique nous enferme dans l’expérience. La métaphysique serait condamnée, si elle avait la prétention de nous en faire sortir, mais elle n’est que a la synthèse des lois partielles, recueillies par les sciences spéciales », l’effort pour dégager la loi générale qui régit l’univers. Cette loi générale est la loi de l’évolution. La morale n’est rien de plus que l’application de cette loi générale à la conduite humaine. « Le monde évolue vers la perfection », nous sommes parties de ce tout, collaborons à l’œuvre universelle. Nous avons achevé la philosophie sans sortir de l’empirisme.

M. Worms en est-il bien sûr ? Les théories empiriques qu’il expose n’ont rien de bien nouveau. Ce qu’il y a d’original dans son livre, c’est l’effort pour tirer de la science, par les seuls procédés de la science, une métaphysique et une morale. S’il avait réussi à s’élever par l’induction du phénomène à l’être, du fait à la cause, du relatif à l’absolu, il aurait fait vraiment quelque chose de merveilleux. Je suis un peu surpris qu’au courant de la critique de Kant et de Mill, il l’ait espéré. Je ne m’attacherai pas à relever les inconséquences partielles de l’auteur. Pourquoi sa théorie de l’intelligence n’est-elle pas purement empirique comme sa théorie de la sensibilité ? Pourquoi n’explique-t-il pas les principes directeurs de la connaissance par la correspondance qui progressivement s’établit entre les faits externes et les faits internes ? Ou, si l’esprit a une activité propre, des lois originales, pourquoi ne pas maintenir la distinction de la logique formelle et de la logique appliquée ? des sciences mathématiques et des sciences de la nature ? Après avoir ramené la liberté à n’être qu’un déterminisme individuel, est-on autorisé aussi à conclure « que le déterminisme est à la surface de l’esprit, que la liberté est au fond » ?

Je ne m’arrête qu’à la thèse qui domine l’ouvrage de M. Worms. A-t-il établi la continuité entre la science et la métaphysique ? Ne les a-t-il pas rattachées l’une à l’autre par des liens extérieurs ? Est-ce rester dans la science que d’en interpréter les conclusions par des idées qui n’ont plus rien de proprement scientifique ? En premier lieu, c’est par un simple abus de langage que l’auteur relie le problème métaphysique au problème général que se posent les sciences de la nature. « Les sciences, dit-il, après avoir constaté les faits, ont à en chercher à la fois et les causes et les lois. La métaphysique doit faire la même double recherche. Elle doit synthétiser toutes les lois partielles, recueillies par