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jours mener une parallèle à une droite donnée ; 2° qu’on n’en puisse mener qu’une seule — et nous l’avons critiquée de ce chef.

Il est assez curieux de constater que la définition qu’Archimède et Legendre, et après eux Blanchet, donnent de la ligne droite, tombe sous une critique analogue. Sans doute elle attribue à la ligne droite une marque que nous savons être distinctive ; mais comment reconnaîtrons-nous la droite parmi toutes les lignes que l’on peut mener entre deux points ? comment pouvons-nous nous assurer que nous l’avons menée ? Pour cela, il nous faudrait les rectifier toutes, puis les superposer ; ou bien posséder une mesure fixe, qui ne peut être qu’une droite ou une distance telle qu’une ouverture de compas, et, au moyen d’elle, les comparer. Il nous faudrait encore pouvoir apprécier une différence infiniment petite. Cette comparaison n’est donc possible que si l’on a préalablement une droite. Enfin toutes ces opérations nous apprendraient uniquement quelle est la plus courte des lignes menées, et nous ne serions pas assurés que la droite figure dans leur nombre.

Mais supposons-le ; nous n’aurons pas pour cela le moyen de tracer la droite. De sorte que nous ne sommes pas certains, de par la définition, qu’entre deux points on peut toujours mener un plus court chemin. De là, d’un côté, la demande d’Euclide « qu’on, puisse toujours conduire une droite d’un point à un autre » complétée par cette autre « qu’on puisse prolonger indéfiniment une droite suivant sa direction ». D’un autre côté, pour marquer que c’est un attribut exclusif de la droite d’être la plus courte ligne ou d’être celle qui est semblablement placée entre ses points, un second postulat est nécessaire, soit l’axiome de Legendre que « entre deux points on ne peut tracer qu’une seule ligne droite[1] «, soit la troisième demande d’Euclide qui — revient au même que — « deux droites ne peuvent renfermer un espace ».

De la définition que « la ligne droite est celle qui peut tourner autour de deux de ses points sans sortir d’elle-même », on n’a rien pu tirer, pas même qu’elle est le plus court chemin, si ce n’est, à la façon d’Ueberweg[2] en passant par la définition qui plaît à M. Renouvier et qu’il met bien à tort sous l’égide d’Euclide : « La ligne droite est la ligne de direction constante. »

  1. On peut formuler cette proposition de beaucoup de manière : outre celles de Legendre et d’Euclide, les suivantes sont aussi valables : Deux droites ne peuvent avoir plus d’un point de commun sans coïncider ; si deux droites ont deux points de commun, elles coïncident dans toute leur étendue.
  2. Voir, à la suite de mes Prolégomènes, etc., la dissertation de cet éminent philosophe sur les Principes de la géométrie.