Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on regarde les choses sous cet aspect, une forme supérieure de vie ; mais cette forme supérieure de vie peut-elle être dans l’état social et moral actuels autre chose qu’un idéal, que l’avenir seul permettra de réaliser pleinement ? C’est là ce qu’il est permis de se demander. En tout cas et en restant sur le terrain de la morale sociale, la condamnation ne sera jamais trop sévère pour l’adultère, la séduction, les aventures sentimentales. Ce sont au reste ces passions où la tendresse, l’amour qui aime et non point seulement l’amour qui désire jouent un rôle, qui bien plus que les heures perdues avec les professionnelles de la galanterie, usent et détruisent la puissance de vouloir et de penser : toute union d’âme où ne trouvent point place une entière confiance et un entier respect, qui ne vous permet point pour vous-mêmes une estime sans réticences, est vite une cause de luttes intérieures qui aboutissent à une sorte de surmenage sentimental. Sans doute, tout cela est moralement plus élevé que les relations avec les femmes faciles, mais cela est aussi étrangement plus coupable socialement et aussi plus dangereux. Où M. P… a pleinement raison, c’est lorsqu’il insiste sur l’absolue nécessité de faire à la préoccupation de la femme la petite place dans sa vie : il ne s’agit pas ici bien entendu de la femme qui est devenue une compagne et une amie, mais de la femme impersonnelle en quelque sorte et dont le sexe seul et la beauté vous hantent. Mille autres objets et qui valent mieux qu’on s’en occupe sollicitent l’attention du jeune homme : il faut pour que son intérêt puisse se tourner vers eux qu’il se libère par tous les moyens des sollicitations sensuelles, les plus contraignantes, les plus dominatrices de toutes.

M. P… étudie ensuite les dangers qui peuvent résulter pour la volonté et l’indépendance du jeune homme du milieu même où il est appelé à vivre ; ce milieu, c’est un groupe de camarades, auxquels, par crainte des railleries, par désir vaniteux d’exciter une banale admiration, l’étudiant mettra presque toujours son amour-propre à obéir. La camaraderie est à certains égards tout l’opposé de l’amitié, aussi dissolvante et dangereuse, lorsqu’elle devient trop étroite, que l’amitié est fortifiante et saine : la vie par troupeaux ne vaut rien pour les hommes. Il y a un grand danger au reste en cette entière communauté de vie avec des camarades qui en majorité ne travaillent guère, c’est de se laisser conquérir par la facile contagion de leur paresse ; les sophismes ne manquent point aux paresseux pour se justifier de ne rien faire et ce sont là de mauvais raisonnements qui trouvent aisément l’accès de toutes les intelligences. La grande plainte de ceux que le travail ennuie, c’est de n’avoir pas le temps de travailler. Or, dit M. P… le temps est toujours solvable à qui sait le prendre. De l’étudiant, cela est si évidemment vrai qu’il ne vaut point la peine d’y insister, mais lorsque M. P… ajoute qu’il n’est pas de profession où l’on ne puisse dans les 24 heures de la journée « trouver les quatre nécessaires et suffisantes à tous pour une solide culture intellectuelle », il nous semble se laisser entraîner un peu loin par le désir de démontrer la thèse qu’il soutient.