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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/8

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l’image incomplète du monde qu’une vague expérience laisse dans notre esprit, tournons-nous vers le monde, de plus en plus faisons vivre en nous le détail de ses phénomènes pour en devenir de plus en plus la pleine conscience.


II


Ce dédain de la métaphysique abstraite, Renan le justifie, comme Auguste Comte, par l’histoire de la pensée. La métaphysique est condamnée, l’humanité l’a dépassée. En fait, l’ère des grands systèmes est close ; « Hegel, Hamilton, Cousin, ont posé tous trois à leur façon la fatale borne après laquelle la spéculation métaphysique n’a plus qu’à se reposer[1]. » En droit, la métaphysique n’a plus de raisons d’être, elle est une forme scientifique surannée, impuissante à résoudre le problème philosophique tel qu’il se pose désormais. « Aux vieilles tentatives d’explication universelle se sont substituées de patientes investigations sur la nature et l’histoire. La philosophie semble ainsi aspirer à redevenir ce qu’elle était, à l’origine, la science universelle ; mais au lieu d’essayer de résoudre le problème de l’univers par de rapides intuitions, on a vu qu’il fallait d’abord analyser les éléments dont l’univers se compose et construire la science du tout par la science isolée des parties[2]… Sur toute la ligne les sciences soit historiques, soit naturelles me paraissent destinées à recueillir l’héritage de la philosophie. Chaque branche des connaissances humaines a ses résultats spéciaux qu’elle apporte en tribut à la science universelle. Les principes généraux qui seuls ont une valeur philosophique ne sont possibles qu’au moyen de la recherche érudite des détails[3]. »

Voilà qui est, semble-t-il, parler clairement. Littré ne dirait pas mieux : les sciences se distinguent, se séparent,mais par un artifice qui facilite le travail de l’homme ; en fait, elles sont les sciences du même univers. Du rapprochement des faits généraux qu’elles constatent se dégage un système de faits plus généraux encore ; la synthèse est ainsi ramenée à l’analyse, la découverte des éléments et l’intelligence de leurs rapports donnent à l’esprit l’unité, la philosophie se confond avec la philosophie des sciences. — N’allez pas croire que telle soit la pensée de Renan, il la répudie avec dédain.

  1. Lat mét. et son avenir (Fragments philosophiques, p. 263).
  2. Ibid., p. 265.
  3. Essais de mor. et de critique, p. 81.