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la consommation et surtout celles de la répartition présentent avec le droit et la morale tant de points de contact, et sont même si bien enchevêtrées avec elles, qu’il ne paraît pas possible et que, même à vrai dire, il ne paraît guère utile de les distinguer[1]. »

M. Gide n’a-t-il pas en fait établi cette distinction ? C’est un point sur lequel je reviendrai tout l’heure. Mais en principe il la nie, et par conséquent on doit le ranger au nombre de ceux qui contestent la possibilité d’une science économique autonome. Et cependant M. Gide est économiste. Sous sa plume, par conséquent, une thèse pareille a une gravité particulière. Mais M. Gide est un réformateur social en même temps qu’un savant. N’y aurait-il pas dans son esprit une confusion du point de vue pratique et du point de vue théorique, de la science appliquée et de la science pure ? En feuilletant un traité récent d’économie politique, j’ai trouvé sur la distinction de ces points de vue et sur le rapport de la théorie à la pratique quelques passages qui me semblent si justes que je pourrais les prendre comme épigraphes des remarques que je me propose de présenter. « La science dont nous entreprenons l’étude, dit M. Wilfredo Pareto[2], est une science naturelle comme la psychologie, la physiologie, la chimie, etc. Comme telle, elle n’a pas à donner de préceptes ; elle étudie d’abord les propriétés naturelles de certaines choses, et ensuite elle résout des problèmes qui consistent à se demander : Étant données certaines prémisses, quelles en seront les conséquences ? « Le lecteur ne doit donc pas s’attendre à trouver dans ce livre la solution d’aucune question pratique ; il n’y trouvera que des éléments qui, combinés avec ceux que lui fourniront les autres sciences sociales, le mettront sur la voie qui conduit à de telles solutions. »

M. Pareto, en deux mots, admet l’indépendance de l’économie politique comme science pure, mais il lui refuse la compétence de donner des préceptes pratiques. Cette compétence est réservée à l’ensemble des sciences sociales. Je pourrais peut-être me déclarer entièrement d’accord avec l’auteur, si je savais exactement ce qu’il entend par sciences sociales. Cette définition manque malheureusement, et l’on sait quelles incertitudes règnent encore à cet égard chez les théoriciens. Peut-être sera-t-il possible d’apporter un peu de lumière dans cette question encore obscure de classification, en examinant les rapports de l’économique avec la morale. Cette étude aurait pu être intitulée : L’économique est-elle une science morale ?

  1. Charles Gide, Principes d’économie politique, V. 2e éd., p. 1 et 4.
  2. Pareto, Cours d’économie politique, §§ 1 et 2. Voir aussi §§ 37 et 11.