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les objets me semblaient moins petits, mais beaucoup plus éloignés. »

Notre hypothèse sur l’origine de ces prétendues « perversions sensorielles » peut être encore confirmée par ce fait que l’impression de « dépersonnalisation » paraît pouvoir, dans certains cas, engendrer de véritables hallucinations :

Mlle E. N. qui se présente à la consultation de la Salpêtrière, pour des troubles névropathiques extrêmement variés (hystéroneurasthénie) raconte, entre autres choses, avoir éprouvé à plusieurs reprises l’illusion suivante : Le matin, pendant qu’elle était occupée à faire le ménage, elle voyait apparaître devant elle, à trois ou quatre mètres, sa propre image, tenant un balai comme elle, et accomplissant exactement les mêmes actions qu’elle-même. Cette hallucination se présentait comme l’image de la malade vue dans une glace, c’est-à-dire le côté droit de l’image étant à droite de la malade, et le côté gauche étant à gauche. En même temps, E. N. avait l’impression d’être comme transportée hors de son corps véritable ; il lui semblait qu’elle assistait comme simple témoin au déroulement de ses propres états de conscience, comme s’ils avaient été ceux d’une personne étrangère ; il lui semblait qu’elle « n’était plus elle-même ».

Le phénomène a toujours été d’assez courte durée — de 30 secondes à une minute. Souvent, la vision ne faisait, suivant l’expression de la malade, que lui passer devant les yeux. D’ailleurs, dès qu’elle avait atteint une certaine intensité, la malade était prise d’un tremblement, et fondait en larmes.

Ici l’hallucination paraît bien nettement consécutive à l’impression de dédoublement, car E. N. avait fréquemment éprouvé cette impression, avant d’avoir jamais été hallucinée, et plusieurs fois. Elle l’avait éprouvée dans les mêmes circonstances exactement, c’est-à-dire le matin en faisant le ménage. Jamais d’autre part il ne lui est arrivé de voir l’hallucination sans éprouver en même temps l’impression.


III


En 1894, M. Dugas avait émis cette idée que si le sujet éprouvant l’impression de fausse reconnaissance, se sentait en même temps double, c’était peut-être en somme parce qu’il se dédoublait réellement : « Le sujet atteint de fausse mémoire, disait-il, a conscience de devenir autre… se sent rester le même en devenant deux… c’est bien là ce qu’éprouverait une personne qui se dédouble, si au lieu de percevoir comme il arrive d’ordinaire, le dédoublement opéré, elle le percevait au moment où il s’opère. Mais comment et pourquoi le dédoublement a-t-il lieu ? On ne sait. Peut-être vient-il à la suite d’une auto-hypnotisation spontanée. La fausse mémoire se produirait exactement au point de rencontre de l’état hypnotique et de la veille normale. » Actuellement, M. Dugas admet que l’impression est due à ce que « les opérations volontaires et mentales deviennent accidentellement l’effet