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Otto Ammon.L’ordre social et ses bases naturelles. Esquisse d’une anthroposociologie, traduit par H. Muffang. Paris, Fontemoing, 1900, 516 p. in-8o.

Le livre de M. Ammon se divise en deux parties : l’une où l’auteur expose la théorie de l’ordre social d’après les sciences naturelles, l’autre consacrée aux applications de sa théorie.

Le fondement théorique du livre se résume dans la théorie de Galton sur l’inégale répartition des aptitudes humaines et dans le mécanisme de la sélection sociale qui n’est, d’après M. Ammon, qu’un prolongement de la sélection naturelle.

Les conséquences pratiques sont des plus favorables aux classes dirigeantes. M. Ammon est un adversaire résolu du suffrage universel, de la sociale-démocratie et des idées égalitaires.

Le livre est précédé d’une très intéressante et substantielle préface de M. Muffang consacrée à l’historique et au rôle politique de l’anthroposociologie.

M. Ammon est un esprit très éclairé et très informé, un observateur pénétrant des réalités sociales. Son livre marque une étape dans l’évolution des théories conservatistes. Avec lui, le conservatisme, renonçant à la méthode théologique, traditionnaliste ou autoritaire d’un Bossuet, d’un J. de Maistre ou d’un Brunetière, devient franchement darwinien. Nulle part, pas même chez H. Spencer, on ne trouvera une conception darwinienne du monde social plus cohérente et plus systématique.

Voici quelques points faibles de la théorie de M. Ammon. Elle se compose de deux parties : 1o Une théorie mathématique des combinaisons possibles de 4 dés dont les côtés sont marqués de 1 à 6 points et dont chacun représente une série d’aptitudes humaines ; 2o l’application de ce calcul des probabilités au mécanisme de l’hérédité et de la fécondation humaines.

La théorie mathématique de M. Ammon est irréprochable. Mais 1o on peut se demander si ce calcul des probabilités est la représentation exacte des phénomènes qui précèdent et accompagnent la fécondation. N’y a-t-il pas dans ces phénomènes une complexité beaucoup plus grande que celle que l’on suppose et qui déjoue le simplisme relatif du mathématisme de M. Ammon ? Les lois de l’hérédité se laissent malaisément saisir. N’y a-t-il pas, à côté des lignées de talents héréditaires, des apparitions soudaines de génies que rien dans leur ascendance ne permettait de prévoir ? 2o on peut se demander si la hiérarchie sociale existante coïncide avec la pyramide idéale de Galton. Il y aurait dans une telle affirmation une dose absolument inacceptable d’optimisme.

En somme, la doctrine de M. Ammon est moins une qu’elle ne paraît au premier abord. Elle se compose de deux parties superposées entre lesquelles on n’aperçoit pas bien le point de jonction : une théorie mathématique des probabilités et une théorie sociale de l’hérédité et