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l’isolement devient pour lui l’unique remède efficace aux troubles organiques, affectifs, intellectuels et aux maux de toutes sortes qui résultent de l’incapacité synthétique de son esprit. Faute de pouvoir même avec le secours d’une puissance surhumaine, coordonner ses tendances et systématiser ses sensations, il les détruit, il les élimine, sous l’influence de l’idée religieuse, et trouve ainsi la paix dans l’unité, par le renoncement ascétique. Mais, le même remède ne saurait convenir à tous les cas ni à tous les caractères, et nous allons voir plusieurs malades, à beaucoup d’égards semblables aux précédents, se soumettre instinctivement à un régime très différent et même opposé. Chose curieuse, quelques-uns d’entre eux commenceront par essayer du remède de l’isolement et de l’« oisiveté » et ce ne sera qu’après des échecs réitérés qu’ils auront recours à un autre mode de traitement, qu’ils s’unifieront par l’action et par l’adaptation à un milieu social déterminé. C’est donc le phénomène inverse de celui qui se manifeste aux différents degrés de l’extase, particulièrement aux degrés « supérieurs ».

Un premier exemple vraiment caractéristique m’est fourni par un pasteur presbytérien d’Amérique, qui observait fort bien ses paroissiens et notait ses remarques dans des mémoires non rédigés en vue de la publication[1]. Je néglige, bien entendu, les commentaires théologiques et les exhortations morales ; l’observation seule nous intéresse. « J’ai connu, dit-il, un jeune homme, commis dans une maison de commerce, qui voulut quitter ses occupations pour donner tout son temps et toutes ses pensées à la religion. Il disait que son esprit était distrait par le travail journalier, que s’il n’avait rien d’autre à faire qu’à chercher Dieu, à lire et à prier, il trouverait bientôt le salut. Il quitta le travail, prit une chambre particulière dans une maison retirée et s’y enferma seul avec lui-même. Au bout d’une semaine, il lui sembla qu’il n’avait pas fait de progrès dans la vie religieuse. Il résolut alors d’être plus soigneux dans la lecture de la Bible, plus fervent dans ses prières, plus déterminé à soumettre son cœur obstiné. Au bout de trois semaines, il trouva ses impressions religieuses presque entièrement effacées. Alors, il abandonna sa retraite et revint à son ouvrage. « J’ai trouvé, dit-il, que mon cœur était la pire société que je pusse avoir. Si je fusse resté un peu plus longtemps là-bas, j’aurais fini par ne plus me soucier du tout de la religion. » Un mois après avoir repris son travail, il redevint un chrétien plein de décision et de paix et il s’unit à l’Église. »

  1. Ils ont été publiés dans les Récits américains de L. Bridel.