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religieux ou comme d’autres, plus enclins encore au fanatisme, dans une action spéciale et sacrée.

Ce qui apparaît déjà clairement, c’est l’impossibilité absolue pour certains individus de satisfaire leur besoin religieux par les procédés et les exercices des extatiques. Ils arrivent au même résultat à la condition d’être orientés en sens inverse. Là où sainte Thérèse, par exemple, ne voit que de la diversité, des tentations, du mal, nos piétistes trouvent la paix et la délivrance ; et ils s’exposent aux tentations dès qu’ils essayent de suivre l’exemple de la sainte et de ses pareils. Dans la situation et dans l’attitude même où celle-ci se sent le plus portée à la dévotion, ils paraissent ne plus se soucier de religion et, tandis qu’elle jouit d’une vision de Dieu, de Jésus-Christ ou de la Sainte Vierge, ils en sont réduits à une apparition du diable. On ne saurait imaginer un contraste plus frappant.

Il nous reste à envisager maintenant d’autres cas du même genre que les précédents, mais qui nous intéressent encore davantage, parce que les sujets ont besoin, dans l’intérêt de leur propre conservation et de leur unification personnelle, de se vouer à une œuvre essentiellement religieuse. Finney[1] rapporte qu’il a connu dans un « réveil » un homme qui s’enferma pendant dix-sept jours, priant Dieu continuellement comme s’il eût voulu forcer Dieu d’en venir à ses fins ; mais, cela sans aucun succès. Cet homme sortit alors pour « travailler au règne de Dieu », et immédiatement il sentit l’esprit de Dieu dans son âme et il éprouva un bonheur sans mélange. Veut-on maintenant une description plus complète de cet état curieux, d’un individu qui se sent tour à tour damné ou sauvé, abandonné de Dieu ou rempli de son esprit, troublé ou pacifié, selon qu’il reste enfermé dans sa chambre ou qu’il se met à l’œuvre ? Je la trouve dans une lettre adressée par un pasteur américain à l’un de ses collègues presbytériens, pour lui faire la confession de ses fautes et surtout de ses misères.

« J’ai souffert, écrit-il, toutes les horreurs d’une profonde mélancolie. Des pensées de blasphème qu’il ne m’est pas même permis de répéter, des tentations que je n’ose pas nommer… me traversaient l’esprit sans que je le voulusse, sans qu’il me fût possible de les repousser. Ma pauvre âme impuissante contre elles était leur jouet. Souvent, il me semblait entendre Satan me parler, se rire de moi et triompher en me disant : Où est ton Dieu maintenant ? Ces idées se présentaient à moi si soudainement, avec tant de force et de réalité, qu’il m’était impossible de croire qu’elles fussent nées dans

  1. Discours sur les réveils.