Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 50.djvu/618

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE DILETTANTISME SOCIAL
ET LA PHILOSOPHIE DU « SURHOMME »

Le problème capital de la morale sociale est celui des rapports de l’individu et de la société. — Aux différentes manières de résoudre ce problème répondent diverses attitudes de l’individu vis-à-vis de la société.

Parmi ces attitudes, il en est deux qui nous semblent particulièrement intéressantes, soit par elles-mêmes, soit par l’influence qu’elles tendent à prendre de plus en plus sur les esprits cultivés. L’une est celle que nous appellerons Dilettantisme social ; l’autre a été exposée par Nietzsche sous le nom de morale du « Surhomme ».

Nous voulons nous demander à quelle conception générale de la vie et de la société se rattachent le Dilettantisme social et la philosophie du Surhomme. Nous rechercherons ensuite quel est le lien qui unit ces deux conceptions ainsi que le rôle moral qu’elles sont appelées à remplir.

La question dont nous devons partir est celle-ci : Quelle est au fond la nature et la valeur de la société ? — La société est-elle bonne ou mauvaise, a-t-elle, oui ou non, un droit à l’existence antérieur et supérieur au droit des individus ?

Or, si nous examinons les diverses réponses qui ont été faites à cette question, nous voyons que ces solutions, si nombreuses qu’elles soient, peuvent être ramenées à deux types : l’un que nous désignerons sous le nom de Dogmatisme social, l’autre sous celui de Nihilisme social.

J’appelle du nom général de Dogmatisme social les doctrines qui attribuent à la société, en tant que telle, une existence antérieure et supérieure aux individus, une valeur morale objective et absolue. Telle est par exemple la philosophie sociale platonicienne qui subordonne absolument l’individu à la cité.

Ce dogmatisme est en même temps un réalisme social. J’entends par là que les Dogmatiques érigent la société en entité distincte des individus et supérieure à eux. — Dans cette conception la société a ses lois propres, distinctes de celles qui régissent les existences individuelles ; elle a aussi ses fins propres auxquelles doivent être sacrifiées sans hésitation les fins éphémères de l’Individu. Elle plane au-dessus des existences individuelles comme une puissance mystérieuse