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LES DOGMATISMES SOCIAUX
ET LA LIBÉRATION DE L’INDIVIDU


Il y a deux conceptions possibles au sujet des rapports de l’individu et de la société. Les partisans des dogmatismes sociaux pensent que l’individu considéré soit dans son origine, soit dans sa nature, soit dans sa fin, n’est qu’un élément et presque un épiphénomène de la société. Les partisans de l’individualisme regardent au contraire chaque individu comme un petit monde à part, ayant son existence propre et son originalité indépendante. Dans le premier cas, on regarde la société comme ayant une valeur antérieure et supérieure à celle de l’individu et on refuse à celui-ci tout droit contre la société. Dans le second, on attribue à l’individu une valeur propre et des droits qui ne doivent en aucun cas être sacrifiés aux fins sociales.

Nous voudrions mettre en lumière l’inanité de tous les dogmatismes sociaux. Cette tâche nous paraît l’indispensable propédeutique à la libération de l’individu.

Mais avant d’aborder cette discussion, précisons-la davantage. Le problème ne se pose pas pour nous entre l’individu et l’État, mais entre l’individu et la société. H. Spencer a écrit son livre : l’Individu contre l’État pour affranchir l’individu de la tyrannie étataire. On pourrait écrire un autre livre intitulé l’Individu contre la Société, pour libérer l’individu des tyrannies sociales. L’individualisme d’H. Spencer n’est qu’un faux individualisme. Il arrache, il est vrai, l’individu au joug de l’État. Mais il le maintient aussi courbé que jamais sous celui des contraintes sociales vis-à-vis desquelles il ne lui accorde que la faculté d’adaptation. Spencer fait au fond de l’individu une simple réceptivité sans initiative propre.

Autres sont les contraintes étataires, autres les contraintes sociales. Les contraintes étataires se résument dans un mot : la loi promulguée et la force publique qui la sanctionne. Cela est simple et franc. Les entraves sociales sont autrement compliquées. Autrement hypocrites aussi. Elles garrottent l’individu de mille petits liens