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ment de l’esprit (qui enveloppe peut-être toujours un sentiment d’effort, mais souvent trop léger ou trop familier pour être perçu distinctement) nous donne la conscience nette d’un effort intellectuel. A cette question le simple bon sens répond qu’il y a effort, en plus du travail, quand le travail est difficile. Mais à quel signe reconnaît-on la difficulté du travail ? A ce que le travail « ne va pas tout seul », à ce qu’il éprouve une gêne ou rencontre un obstacle, enfin à ce qu’il met plus de temps qu’on ne voudrait à atteindre le but. Qui dit effort dit ralentissement et retard. Le même travail occupe plus ou moins de temps, toutes autres conditions égales, selon qu’il exige ou n’exige pas un effort. D’autre part, on pourrait s’installer dans le schéma et attendre indéfiniment l’image, on pourrait ralentir indéfiniment le travail, sans se donner ainsi la conscience d’un effort. Il faut donc que le temps d’attente soit rempli d’une certaine manière, c’est-à-dire qu’une certaine diversité toute particulière d’états s’y succèdent. Quels sont ces états ? Nous savons qu’il y a ici un mouvement du schéma aux images, et que l’esprit ne travaille qu’à la condition d’être tout entier occupé à cette conversion du schéma en images. Les états par lesquels il passe ne peuvent donc être que des essais par lesquels des images diverses tentent de s’insérer dans le schéma, ou par lesquels encore, dans certains cas au moins, le schéma se modifie progressivement pour arriver à se traduire en images distinctes. Dans cette hésitation toute spéciale doit se trouver la marque caractéristique de l’effort intellectuel.

Je ne puis mieux faire que de reprendre ici, en l’adaptant aux considérations qu’on vient de lire, une idée intéressante et profonde émise par M. Dewey dans sa récente étude sur la psychologie de l’effort’. Il y aurait effort, d’après M. Dewey, toutes les fois que nous faisons servir des habitudes acquises à l’apprentissage d’un exercice nouveau. Plus particulièrement, s’il s’agit d’un exercice du corps, nous ne pouvons l’apprendre qu’en utilisant et en modifiant dans une certaine direction particulière certains mouvements auxquels nous sommes déjà exercés. Mais l’habitude ancienne est là elle lutte contre la nouvelle habitude que nous voulons contracter au moyen d’elle. L’effort ne ferait que manifester cette lutte, cette interférence de deux habitudes distinctes et pourtant semblables. Exprimons cette idée en fonction de schémas et d’images appli- Dewey, The psychology of effort, P/t~osop/Mca~ Review, janvier 1897.