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Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 55.djvu/143

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deux sujets me l’ont déclaré, sans hésiter, et spontanément, et à plusieurs reprises. Pour bien comprendre la portée de cette affirmation, il faut donner quelques éclaircissements. Nous avons vu dans d’autres expériences que lorsqu’une personne entend un mot, il y a un court moment où ce mot est compris, sans donner lieu à une image. De même, il suffit de lire rapidement des mots comme maison, bêche, cheval, pour s’apercevoir qu’on peut comprendre ce qu’ils signifient, mais ne pas les appliquer à des objets précis, et ne rien imaginer. Ce sont là des pensées sans images. Dans les expériences et observations que je vais décrire, le cas est différent et beaucoup plus intéressant. Il ne s’agit plus d’une pensée vague et indéterminée, comme précédemment ; le mot n’est pas compris, il est appliqué à un objet défini, cet objet est comme désigné par un geste mental ; c’est monsieur un tel, ou c’est le clocher de tel village : on pense à cet objet, et quelquefois même on a cherché volontairement à s’en donner une image ; mais l’image n’est pas venue.

Je cite un exemple ; il m’est fourni par Armande, une des deux fillettes qui a, bien plus souvent que sa sœur, cette stérilité d’images après une recherche volontaire. Je lui dis le nom de Firol ; c’est le nom d’une personne bien connue, que nous avons eue comme domestique pendant six ou sept ans, et qu’on revoit de temps en temps, cinq ou six fois par an. Armande, après quelque effort pour se représenter Firol, abandonne et dit :« Ce ne sont que des pensées, je ne me représente rien du tout. Je pense que Firol était ici (à demeure dans notre maison) et que maintenant elle est au Val d’Avon (endroit où elle et son mari viennent de louer une maison), mais je n’ai pas d’image. J’ai pensé à avoir une image, mais je n’en ai pas trouvé. » Je répète qu’il y a eu là une pensée particulière, bien individualisée ; la pensée s’est fixée sur une personne connue, on a pensé à certains détails de l’existence de cette personne, à son changement d’habitation et de condition ; mais on n’en a pas eu l’image.

Autres exemples d’Armande : Tempête. « Oh ! je ne peux me représenter ! comme ce n’est pas un objet, je ne me représente rien. Cette fois j’ai fait un effort, mais je n’ai pas pu. » — Favori. « Oh ! ça ne me dit rien du tout. Je ne me représente rien du tout. Les mots qui veulent dire plusieurs choses, je ne peux pas me les représenter. Je me dis que ça veut dire tantôt une chose, tantôt une autre. Alors, pendant que je cherche… aucune image ne vient. »

J’emprunte les autres exemples à Marguerite. Je lui dis le mot Bouquin, qui est le nom d’un ancien voiturier de S…, petit vil-