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répercutent de la sensibilité sur l’intelligence. Car l’intelligence n’est que de la sensibilité cristallisée.

C’est en vain qu’une éducation, quelle qu’elle soit, s’attaquerait à ce fond inné pour le dissoudre et lui substituer une façon différente de sentir. Il y a dans la physiologie de chaque homme quelque chose d’irréductible aux efforts de l’éducation. Une seule force est capable de modifier — et encore dans une mesure très restreinte — notre sensibilité native. C’est l’expérience de la vie, parce que la vie parle directement à la sensibilité.

La théorie intellectualiste de l’éducation par l’instruction est enfantine. M. Ribot donne la raison de l’impuissance d’une telle méthode. Parlant des caractères contradictoires coexistants et en particulier de ceux qui manifestent l’opposition si fréquente entre le penser et le sentir, entre la théorie et la pratique, entre les principes et les tendances, M. Ribot ajoute : « Cette dualité contradictoire est si commune qu’on n’oserait pas y insister si elle ne mettait en plein jour l’inanité de ce préjugé si répandu : qu’il suffit d’inculquer des principes, des règles, des idées, pour qu’ils agissent. Sans doute l’autorité, l’éducation, la loi n’ont pas d’autre moyen d’influence sur les hommes ; mais ce moyen n’est pas efficace par lui-même ; il peut échouer ou réussir. C’est une expérience qu’on essaie et qui se réduit à ceci : Le caractère intellectuel (s’il y a des caractères proprement intellectuels, comme l’admettent certains auteurs) et le caractère affectif marchent-ils de pair[1] ? » La solution de cette question réside, en dernier lieu, dans l’individualité elle-même et non au dehors. L’individualité s’orientera finalement du côté où la portent ses tendances originelles. Tant mieux pour l’éducation intellectuelle si ses préceptes se sont trouvés être en harmonie avec le vouloir-vivre foncier de l’individu. Dans ce cas elle pourra agir dans une certaine mesure pour accentuer et affermir les tendances du vouloir-vivre individuel. Dans le cas contraire, elle n’aura qu’une influence insignifiante[2], et d’autant plus qu’on aura affaire à des caractères plus fortement individualisés par leur physiologie et leur hérédité.

On peut voir dans une enquête publiée par la Revue blanche que les réponses d’un assez grand nombre de littérateurs et d’artistes attestent la minime influence de l’éducation reçue sur le développement de leur personnalité intellectuelle et morale.

  1. Ribot, Psychologie des sentiments, p. 407.
  2. H. Spencer exprime cette vérité dans un ouvrage récent intitulé Facts and Comments. « Le développement de l’intelligence, dit-il, est sans effet sur nos actions morales ; il ne suffit pas d’apprendre à quelqu’un des choses vraies et justes pour le faire agir d’une façon vraie et juste. » Cité par la Revue philosophique d’octobre 1902, p. 419.