Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 59.djvu/183

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traint. Ici la personnalité apparaît ; c’est un homme qui agit. Mais cet homme est plutôt serviteur que maître ; car, son devoir étant de commander toujours en vue du bien de l’enfant, jamais pour le sien, il est en réalité au service de celui à qui il semble donner des ordres. Du reste, que cherche-t-il, sinon de mettre l’enfant en mesure de se gouverner lui-même et de se passer de tuteur ? Comment comparer à l’autorité du monarque absolu une autorité qui n’a d’autre but que de se rendre inutile, et qui ne travaille que pour s’abolir elle-même ?

La même chose est vraie à l’égard du pouvoir autocratique dont nous avons reconnu la nécessité pour les nations qui sont encore incapables d’exercer le self government. L’homme qui exerce un tel pouvoir possède à l’égard de la nation qu’il régit exactement les mêmes droits et les mêmes devoirs qu’un père à l’égard de son fils ; c’est-à-dire qu’il fait les lois et qu’il les impose à ses sujets. Mais toutes ses actions doivent être inspirées par le désir d’élever son peuple à un degré de culture intellectuelle et morale qui permette de lui remettre le soin de ses destinées. Et, justement parce qu’il est père, il n’est, comme le souverain constitutionnel, mais plus encore que ce dernier parce que son pouvoir est plus grand, que le premier serviteur de l’État.

Telle est la seule conception du pouvoir absolu que la raison puisse avouer, et l’on voit que, dans cette conception, le pouvoir absolu ne peut s’exercer qu’au profit de la liberté, comme préparation de la liberté future. Il est nécessaire et légitime dans de certaines conditions ; mais ce qu’il exprime c’est le dernier degré de la misère humaine dans celui qui le subit, non le degré supérieur de l’excellence dans celui qui l’exerce. L’apanage de la vraie grandeur n’est nullement de s’imposer à la volonté d’autrui.

Charles Dunan.