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Il semblerait, à entendre nos critiques, qu’une règle morale dût perdre toute chance d’être observée, du jour où ceux qui s’y conforment s’apercevraient qu’elle n’est pas une injonction formulée de toute éternité par un pouvoir qui exige d’eux une obéissance passive. Mais il n’en est rien. On pourrait, sans paradoxe, soutenir la thèse contraire. Dans toute société humaine, dans la nôtre en particulier, si avancée qu’elle se croie, il subsiste nombre de règles dont on a beau savoir qu’elles sont aujourd’hui sans raison et sans utilité elles n’en continuent pas moins d’être observées, et par ceux qui en souffrent autant que par ceux qui en profitent. Qui sait si l’une des formes du progrès qu’on peut espérer de la science ne sera pas la disparition de ces impératifs périmés et néanmoins respectés ?

° On oppose l’un à l’autre le devoir senti comme absolu, catégorique, et, comme tel, imposant le respect à la conscience individuelle, et le devoir connu comme relatif, provisoire, et perdant comme tel son droit à ce respect, même si en fait il l’obtient pendant quelque temps encore. Mais l’antithèse est factice. Elle ne répond pas à la réalité des faits. Non seulement le devoir, même connu comme relatif, peut continuer à être respecté et obéi ; mais, entre les termes extrêmes, un très grand nombre de termes moyens peuvent s’insérer. Entre les prescriptions de la mode, qui durent une année ou changent avec les saisons, et les devoirs relatifs à la famille, qui mettent des siècles à varier, il y a place pour des obligations qui présentent tous les degrés possibles de stabilité. La qualification de « provisoire H ne convient pas à toutes exactement dans te même sens. Sans doute, la morale d’une société est relative à sa structure, au type auquel elle appartient, au stade actuel de son développement, etc. Elle est donc destinée à varier, et, en ce sens, elle est provisoire mais provisoire comme son droit, comme sa religion, comme la langue qu’elle parle. Un provisoire qui s’étend ainsi sur une longue suite de générations équivaut, pour la courte vie d’un individu, à du dénnitif. II s’impose à lui, comme l’expérience le prouve, sous la forme d’obligations nettement impératives. Et si l’on ne voit pas bien comment il dépendrait de l’individu de changer tout d’un coup la langue qu’il a apprise sur les lèvres de sa mère, on ne conçoit pas davantage qu’il puisse vivre moralement d’après des règles tout autres que celles qui sont obligatoires dans la société où il est devenu homme. Les consciences les plus promptes à s’alarmer peuvent donc se tranquilliser. Le caractère relatif et provisoire de toute morale, ainsi entendu et c’est en ce sens seulement que la