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SAGERET. LA COMMODITÉ SCIENTIFIQUE 33

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TOME LXH.–1906. 3

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Au seul mot de com~cc~é introduit dans l’expression des principes scientifiques, beaucoup de gens s’écrient, les uns en battant des mains, les autres avec consternation « C’est la ruine de la Science ».

Il est plus commode, dit M. Poincaré, de croire que la terre tourne. Et là-dessus on pourra demander Plus commode pour qui ? D’aucuns répondront aussitôt Pour les savants, et pour eux seuls, car si vous demandez à un homme ordinaire « Quels inconvénients voyez-vous à ce que la terre ne tourne pas ? s il lui sera impossible de donner une réponse qui ne revienne à celle-ci « L’immobilité de la terre démentirait les savants ; d’autre part, elle conviendrait mieux à mes instincts ». On trouve donc des mandarins de l’intelligence qui ordonnent à la foule « Crois telle chose ou telle autre chose afin de respecter les commodités particulières de nos esprits ». Orgueil intolérable. Il devient légitime de se révolter. Demeurons sceptiques. S’il nous plaît au contraire d’asservir notre raison à quelques-uns de nos pareils, nous exigerons d’eux une Vérité ou une Chimère qui ne soit pas leur confortable réservé, mais le bien de tout le monde. Ainsi la considération de commodité pourrait être exploitée contre la science au point de vue sentimental. De telles attaques ne sont pas les moins redoutables.

Des arguments plus rationnels surgissent aussi. M. Poincaré nous expose qu’il y a plusieurs géométries également vraies. Nous choisissons la plus commode c’est la géométrie d’Euclide. Elle nous conduit à trouver que le soleil est à 150 millions de kilomètres de la terre. Mais cette distance serait plus grande si l’on avait préféré la géométrie de Lobachewsky et plus petite si l’on s’était décidé pour la géométrie de Riemann. N’oublions pas que dans ces trois géométries les droites, les angles, et la manière de mesurer une droite ou un angle sont les mêmes. Dans ces conditions il y a bien une distance vraie du soleil à la terre, et une seule ; nous ne savons pas laquelle, mais par commodité nous décrétons qu’elle est de 150 millions de kilomètres. En un mot nous la créons. Nous la créons d’autant mieux qu’il y a non pas trois géométries mais un grand nombre de géométries également vraies, une infinité d’après Riemann, si l’on postule que le mouvement d’une figure invariable n’est pas toujours possible, or ce postulat vaut le postulat contraire, et même s’adapte mieux à la réalité, puisque