Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 67.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


LA MÉMOIRE AFFECTIVE ET L’ART


Au cours d’une étude plus générale que celle-ci, qui porte sur le rôle des éléments représentatifs et des éléments affectifs dans la production artistique, et qui sera publiée ailleurs[1], je suis arrivé à des résultats qui intéressent certains points contestés de la théorie de la mémoire affective. Je puis les détacher du reste pour en faire l’objet de ce court article. L’objet du débat semblera clair à quiconque a suivi les pénétrantes et fécondes études auxquelles le sujet a donné lieu en France depuis les premiers et importants écrits publiés par M. Ribot[2].

  1. Je [illisible] que cette étude plus approfondie fait partie de l’analyse de la conscience esthétique, au tome III de ma Genetic Logic (La Pensée et les choses, Paris, Doin, vol. I, 1908) qui paraîtra bientôt. J’espère faciliter l’intelligence de cet article, en exposant succinctement l’usage que j’ai fait dans cet ouvrage du phénomène de la mémoire affective. J’arrive à cette idée que, si nous admettons que le sentiment et l’émotion sont susceptibles de reviviscence et de généralisation, tous les arts peuvent être rangés dans la catégorie unique des fonctions représentatives ou imitatives. En même temps j’arrive à cette idée que toutes les constructions représentatives, quand l’imagination artistique s’en empare, se chargent d’un contenu émotionnel et personnel. On trouve (reading-inh, Einfülung) l’œuvre d’art tout « imprégnée » de vie personnelle. Et ceci a son origine profonde dans les tendances instinctives et sociales de l’individu à s’exploiter et à s’exhiber lui-même. Nous devons donc reconnaître à l’art deux sources essentielles : l’imitation qui aboutit à la représentation idéale, et la mise en scène du moi qui aboutit à l’expression du sentiment idéal. L’art est par conséquent une fonction imaginative qui idéalise le réel sous des formes dans lesquelles viennent prendre corps des valeurs personnelles et sentimentales. On trouve là une sorte de contemplation immédiate dans laquelle se trouve dépassée l’opposition entre l’intérêt théorétique et l’intérêt pratique.
  2. Cette littérature est résumée dans un intéressant article de M. Ribot dans la Revue philosophique, déc. 1907. Indépendamment des références qu’il donne aux ouvrages de Pillon, Mauxion, Dauriac, Paulhan et autres savants français, je puis citer les écrits importants d’Urban et de Witasek, auxquels je renvoie plus loin. On trouvera une étude plus complète de M. Ribot dans son livre sur la Psychologie des sentiments ; et une autre du Prof. Urban dans son ouvrage Valuation : its Nature and Laws, London, 1909, chap. v.