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joint l’emploi de certaines substances qui provoquent les visions, attendues et espérées. C’est ce qui se pratique encore, au témoignage de M. Maspéro, en Égypte, où le régime traditionnel et très ancien fait intervenir surtout la belladone. D’autres pratiques produisent des effets analogues. Telles sont celles auxquelles recourent les derviches tourneurs, celles dont usent en tout pays les hommes qui atteignent le monoïdéisme en fixant leurs regards sur un point brillant ou sur un seul objet dont ils ne les détournent pas un seul instant. L’ingéniosité des hommes qui ont ainsi substitué des procédés mécaniques au progrès poursuivi et voulu vers la perfection, est inépuisable et inlassable : elle aboutit, en réalité, à la production de phénomènes qui parfois accompagnaient ou suivaient ce progrès, comme une conséquence déplorable pour l’individu, mais qui dans ce cas se présentent seuls et sans aucune des perfections réalisées par le mystique plotinien. C’est la disparition de la conscience et du souvenir qui laisse le champ libre à l’imagination. C’est le rôle grandissant de l’imagination, dont Malebranche a si bien expliqué l’action chez ceux qui croyaient aller au Sabbat. C’est la part de plus en plus grande faite à l’hallucination et aux mouvements variés et complexes, mais inconscients et involontaires, qu’elle provoque et qu’elle détermine.

Des intermédiaires de plus en plus nombreux sont appelés en outre à venir en aide à qui cherche l’union avec Dieu : il n’a plus qu’à se laisser guider et à remettre son sort entre leurs mains. Dans le monde intelligible, il y a les anges, les saints, la Vierge, le Christ, l’Esprit Saint. Dans le monde sensible, le prêtre est l’intermédiaire ordinaire entre l’homme et Dieu. L’abbé dirige ses moines ; l’évêque dirige les prêtres ; le Pape représente Dieu sur la terre, montre la voie à tous les fidèles, à l’Église entière et, par les indulgences, par mille autres moyens, il facilite l’accès de Dieu à ceux qui ne pourraient, par eux-mêmes, s’en approcher. D’une façon générale, la grâce, les sacrements, qui sont les meilleurs moyens de l’acquérir, suppléent à la faiblesse de l’individu. L’eucharistie, en particulier, met en lui le corps et le sang de J.-C., du Jésus qui est né de la Vierge Marie, qui est mort sur la croix, qui a été enseveli et qui est ressuscité le troisième jour pour aller s’asseoir à la droite du Père. Du même coup l’individu est déifié, christifié selon les expressions énergiques du xiiie siècle,