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Dieu. De maître Eckhart, M. H. Lichtenberger dit que les éléments spécifiquement chrétiens font à peu près complètement défaut chez lui et que sa doctrine peut se résumer dans les deux formules suivantes : « Contemplez la divinité et vous y trouverez le Verbe et les idées de toute chose et la création entière et l’âme humaine. Descendez en vous-même et dans les tréfonds de votre âme, vous trouverez toutes les âmes humaines et le Verbe et la Divinité elle-même. » Pour qui considère les choses d’un point de vue psychologique, Eckhart reproduit la grande pensée de Plotin et de son école, du Connais-toi toi-même de Porphyre, encore développé par Proclus : quand vous aurez mis en vous une perfection aussi grande que possible, contemplez cette perfection réalisée et vous vous unirez à Dieu dans la mesure où vous aurez atteint vous-même la souveraine perfection.

Suso, que M. H. Lichtenberger a plus spécialement étudié, semblait être une des figures les mieux connues de la psychologie mystique. D’après son Œuvre et d’après sa Vie, les uns le prenaient pour un des hommes les plus chrétiens de tous les temps et pour un mystique à peu près unique en son genre. D’autres faisaient des réserves sur la conception de la vie qui s’y reflète, sur l’exaltation et la frénésie de l’ascétisme qui s’y montre et dont témoignent le cilice garni de pointes aiguës qu’il porte jour et nuit, la croix de bois hérissée de clous et d’aiguilles qui blesse ses épaules nues, les gants à pointes de laiton qui déchirent cruellement ses blessures, chaque fois qu’il y veut porter la main, la vieille porte de rebut sur laquelle il dort sans couverture au plus fort de l’hiver, la torture de la soif qu’il s’impose, si bien que sa langue se dessèche et qu’à la procession, il ouvre la bouche dans l’espoir qu’une goutte d’eau

    n’ayant, en réalité, aucun rapport avec les deux vies et formant un tout indépendant, p. 155-167 ; 15 décembre 1910, Inauthenticité de la Vie de Suso, Caractère apologétique de la Vie, Éléments romanesques de la Vie, Élément surnaturel, Élément ascétique, Vérité et Fiction de la Vie, Authenticité des données générales de la Vie, Conclusion, Suso n’est pas l’ascète farouche qu’on nous a dépeint… il s’est plongé comme Eckhart dans la contemplation vertigineuse de l’Unité… il semble avoir été une nature plus naïve, plus ingénue que son maître… L’hagiographe à qui nous devons la Vie n’a pas raconté l’histoire vraie de Suso, ni tracé de lui un portrait concret et réel ; mais il nous a laissé l’image idéale du saint… p. 203-228. Les conclusions auxquelles est arrivé M. Lichtenberger pour Suso s’imposeraient pour plusieurs des mystiques allemands. Voir ce que nous avons dit de Tauler, Revue philosophique, septembre 1911.