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Les stigmates fondamentaux de la timidité

(1er Article)

Dans une étude parue ici-même[1], nous avons tenté de déterminer les conditions biologiques de la timidité et de substituer aux théories émotionnelles, défendues notamment par M. Dugas[2] et M. Hartenberg[3], la théorie psychasthénique, dont nous devons à M. Janet l’idée maîtresse[4]. Nous voudrions reprendre aujourd’hui l’examen de deux points, à peine effleurés dans ce travail, et lui demander de nouvelles lumières, à la fois sur la pathogénie de l’affection et sur la place qu’il convient de lui assigner dans le cadre nosographique. Mais il faut, tout d’abord, résumer les thèses en présence et rappeler la solution que nous avions cru pouvoir donner au litige. Le point de vue émotionnel - qui est celui du sens commun à un degré supérieur de systématisation - fait de la crise l’intimidation, la conséquence d’une hyperesthésie de la sensibilité propre aux timides, et, de la paralysie où la crise les plonge, le résultat pur et simple de cette dernière le timide s’émeut en présence des hommes parce qu’il est de complexion émotive et il devient incapable d’agir parce qu’il est ému. Cette théorie est démentie par l’expérience qui nous montre l’association assez fréquente de la placidité, voire même de l’apathie à la timidité[5] et ne nous laisse, en revanche, apercevoir aucune trace de celle-ci chez de grands ,sensitifs comme Musset et Chateaubriand[6]; mais il est facile de

  1. Revue philosophique, août 1912.
  2. Dugas, La Timidité.
  3. Hartenberg, Les Timides et la Timidité.
  4. P. Janet, Les Obsessions et la Psychasthénie.
  5. Je possède l’observation d’une jeune fille de vingt-trois ans, excessivement timide et qui désole sa famille par son incapacité, hors des crises d’intimidation, à s’affecter de rien.
  6. L’humeur dédaigneuse et le besoin d’isolement hautain de l’auteur des Mémoires d’0utre-Tombe sont tout autre chose que de la timidité.