Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/17

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démontré l’amère mystification qui gît au fond du système des restrictions : on n’avait pas encore fait le décompte des charges qu’il impose, on n’avait pas ouvert encore les yeux sur les jongleries de l’amortissement ; — voile trompeur jeté sur l’abîme des déficits et dont on pourrait comparer l’action à celle d’un homme qui pour reprendre des forces enlèverait à ses veines le sang qu’il verserait dans les artères ; — on comptait encore sur la docilité des autres nations, car l’Amérique n’avait pas rédigé son petit acte de navigation, habile plagiat de celui de Cromwell ; on n’avait pas calculé, dans l’ivresse patriotique où l’on se trouvait plongé, que les dépenses du pays s’élèveraient de 20 millions à 106 millions sterling, tandis que les exportations au profit desquelles on était censé travailler, grandiraient seulement dans la proportion de 39,730,659 liv. st. en 1801, à 41,716,934 en 1812, et 45,494,219 en 1814. ; enfin Huskisson n’avait pas encore rompu le charme en disant en pleine chambre des Communes : Notre brevet d’invention est expiré[1].

Du reste Napoléon ne devait pas laisser longtemps debout toutes ces illusions. Il lui tardait d’écraser cette nation de marchands qui lui tenait tête et dont il retrouvait l’or, l’influence dans toutes les grandes combinaisons qui arrêtaient l’essor de sa fortune. Le souvenir de Saint-Jean d’Acre l’obsédait comme une insulte faite à son génie, et après avoir essayé d’étouffer l’Angleterre dans une étreinte suprême, et sur son vieux territoire saxon, il résolut de la mettre au ban des nations civilisées, et de l’emprisonner en lui donnant pour geôle l’Océan tout entier. Par un de ces partages géants, tels que l’antiquité en rêvait pour ses dieux, il laissa le pavillon de la Grande-Bretagne dominer sur les mers, et lui interdit le continent qu’il trouvait encore trop étroit pour le vol de ses aigles. Par les décrets de Berlin et de Milan il éleva entre le commerce anglais et l’Europe un mur de bronze au pied duquel devaient venir se briser tous les efforts, s’entasser toutes les marchandises de notre grande rivale. De sorte que la consommation des denrées coloniales s’arrêtant par la cherté, le commerce anglais, ainsi refoulé, devait s’écrouler tôt ou tard et entraîner dans sa chute ces redoutables coalitions qu’il payait à bureau ouvert.

Le projet était grandiose et nettement indiqué, comme on voit, et rien n’allait être négligé pour accomplir cette œuvre de colère et de représailles. Ainsi, non-seulement on interdisait, sous peine de confiscation, l’introduction des denrées anglaises ou transportées par des Anglais ; non-seulement on chassait les produits, mais encore les hommes, mais encore les idées. Tout Anglais, vivant en France ou dans les pays soumis et alliés à la France, devenait un prisonnier de guerre : ses biens, ses

  1. À ce brevet, pour le dire en passant, la Ligue et Robert Peel ont substitué un brevet de perfectionnement que nous ne paraissons guère disposés à disputer aux Anglais.