l’anéantissement projeté des doctrines révolutionnaires, et elle sait que les gigantesques ressources de son sol, de ses capitaux, de son travail, ne servirent qu’à asseoir plus solidement l’aristocratie. Elle se rappelle ces alternatives perpétuelles d’abondance et de disette qui tantôt jetaient les capitaux par millions sur les terres et tantôt les reportaient sur les manufactures, — faisant ainsi refluer le paupérisme des champs aux manufactures et des manufactures aux champs. Elle se reporte à ces années sombres où le pain se vendit jusqu’à 2 fr. 50 cent, les quatre livres, où les Luddites, tantôt sous le drapeau de la faim, tantôt sous celui de la haine politique, s’agitaient avec fureur, et formaient à l’intérieur l’écho des combats du dehors ; elle calcule ce qu’il lui a fallu payer de tributs écrasants par le renchérissement de toutes les denrées et par la dépréciation de sa circulation monétaire ; elle se rappelle qu’à une époque à jamais célèbre, le pain blanc fut considéré comme une denrée aristocratique, et qu’il fallut en limiter par une loi la consommation. Elle sait tout cela, et comme elle sera longtemps encore occupée à secouer de ses épaules le fardeau de dettes, de taxes, de paupérisme qui pèse sur elle depuis ces tristes jours, elle trouve qu’à ce prix l’aristocratie est trop chère.
Que si maintenant on ajoute à ce mouvant et dramatique tableau où la fortune de l’Angleterre s’élève et s’abaisse par le caprice des événements : que si l’on ajoute un remaniement perpétuel des impôts et des finances, des coalitions d’ouvriers qui damnent des districts entiers et frappent dans l’ombre, quand ils ne frappent pas au grand jour : que si l’on se représente enfin cette fièvre continuelle et ces convulsions, on comprendra la tâche immense alors réservée à l’économiste.
C’est dans cette période de transformation et de lutte que pensa et écrivit Ricardo.
Les problèmes les plus délicats de la science du crédit et les plus menaçants dilemmes de la vie sociale lui furent posés successivement par une nation haletante, inquiète de l’avenir, et il ne fallut rien moins que ce concours de difficultés pour l’amener à publier ses idées. Jamais homme, en effet, ne fut moins possédé du démon de la dissertation. L’art pour l’art lui était parfaitement antipathique, et il ne parlait que directement interpellé par le fait. De tels écrivains, on le sent, ne peuvent être étudiés sérieusement qu’autant qu’on a esquissé d’une manière complète les événements qui ont ému leur esprit et sur lesquels ils ont réagi à leur tour. On comprend Job ou le Cantique des Cantiques sans avoir médité les commentaires de la Bible : on comprend Sophocle, Anacréon, Sapho sans avoir approfondi les événements politiques et sociaux de la Grèce : on comprend Gluck, Byron, Wordsworth, Hugo, Lamartine, Ingres, sans avoir lu Anquetil, ni même étudié le système représentatif et l’équilibre des pouvoirs ; car ces nobles esprits planent dans des sphères parfaitement inaccessibles aux coups d’État et aux coups de bourse, car ils ont peint, chanté,