Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/46

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grante, comme on voit, et on peut même dire que, dans le développement de cette doctrine, Smith n’a pas déployé une rigidité de logique égale à celle dont Ricardo a fait preuve. Comme si son génie avait éprouvé une violence instinctive à s’égarer dans des abstractions quintessenciées, et absolues, il a marché de compromis en compromis dans la question de la rente. On peut même dire qu’après avoir dénié au monopole du propriétaire la faculté de grossir le prix du blé, il a fait naître, par ses raisonnements, par les faits sur lesquels il s’appuie, une conviction contraire dans les esprits. N’importe, nous ne reculerons pas devant cette écrasante autorité ; nous admirons le génie, mais nous ne lui accordons pas plus le despotisme de l’idée que le despotisme de la loi ou de l’épée, et l’erreur fût-elle couverte de voiles trois fois sacrés comme ceux d’Isis, il nous semble que nous aurions la téméraire présomption de la combattre encore.

Et d’abord, nous dirons que la valeur des choses, dans une civilisation déjà avancée, ne se règle pas exclusivement sur les frais de production, ni sur l’offre et la demande, mais bien sur une combinaison de ces deux lois. Retrancher, dans la détermination du prix, une de ces deux influences, c’est donc mutiler la vérité et isoler des principes inséparables : c’est faire quelque chose d’analogue à l’action d’un individu qui, pour mettre une balance en équilibre, enlèverait un des plateaux. Ces principes posés, il ne reste plus qu’a en faire l’application à la culture des terres et au revenu qu’on en tire.

La forme la plus antique qu’ait revêtue l’exploitation du sol a été celle de la communauté. Mais les tristes résultats de ce système, auquel on voudrait nous ramener sous d’autres formes, ne pouvaient manquer de conduire à une organisation sociale qui ne laissât plus les terres en friche et délivrât l’humanité du fantôme livide et menaçant de la faim. On découvrit alors que dans le vaste amalgame de la communauté, le ressort individuel se trouve anéanti, et que le travail social ne s’effectue que lorsque la rémunération se proportionne à l’œuvre produite. Chacun prit alors la responsabilité de sa propre existence, et la propriété fut instituée comme un dépôt remis à l’individu dans son intérêt et dans l’intérêt collectif des populations.

Jusque là nous demeurons parfaitement d’accord avec Ricardo, et nous reconnaîtrons même pour un moment que l’exploitation directe du sol par le propriétaire se perpétua tant que l’humanité eut devant elle des espaces immenses sur lesquelles s’épanchèrent successivement les nouvelles générations. Mais est-il bien certain que les races humaines aient pu choisir précisément les meilleures terres, pour descendre, d’échelons en échelons, jusque sur les terrains les moins fertiles ? En creusant le sol, le savant y voit, disposées comme les feuillets d’un livre immense, les couches diverses qui retracent l’histoire de nos révolutions géologiques ; mais où sont les caractères précis qui révèlent tout d’abord un terrain de première ou de seconde qualité ? Le rayonnement des populations se fait même, en général,