Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/53

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ce sont leurs bras qui fécondent les campagnes, leurs épargnes qui constituent les budgets, leurs enfants qui engraissent les champs de bataille, et ils entendent qu’on soit plus ménager de tous ces biens. Leurs graves et fortes journées n’ont pas besoin, pour s’écouler rapides, de carrousels brillants, de chasses à courre et de yachts dorés : elles suffisent à peine à l’immense tâche que notre siècle doit accomplir dans la voie intellectuelle, morale et matérielle. Les races dominantes peuvent bien jeter au hasard, dans un conflit, la fortune et la vie des hommes : mais les nations ne peuvent guère avoir de ces redoutables fantaisies. Pourquoi combattraient-elles d’ailleurs ? On voit bien où s’arrêtent les marches d’un trône, où se terminent les dynasties : mais où s’arrête une race d’hommes ? N’a-t-elle pas des affiliations partout ; ne se rattache-t-elle pas par mille fibres invisibles, mais réelles, à tout ce qui l’entoure, et ne commet-elle pas un fratricide dès qu’elle lève le bras pour frapper ?

La terre tout entière appartient aux travailleurs qui l’exploitent dans l’intérêt commun sans qu’il soit besoin pour cela de contrats écrits et de ce que Ricardo appelait les parallélogrammes d’Owen, ou de Fourrier, ou de Campanella ; et par cette division du travail qui laisse à chaque contrée ses merveilles et ses chefs-d’œuvre, tous ceux qui paient à la société le tribut du travail, ont une délégation permanente sur l’ensemble des productions du globe. — Il n’est aucune liste civile qui vaille celle-là.

Un instinct nous dit même que les problèmes dont la solution paraît inaccessible à notre intellect, seront ramenés à des termes fort simples dans un avenir peu éloigné. Les essais de physique sociale ont besoin, comme tous les autres, d’être faits sur une large échelle. Il faut à un fleuve une large ceinture de vallées pour déployer son cours ; et il faut tout un monde pour qu’un principe se développe à l’aise, pour que la richesse et la population prennent leur niveau. C’est à faire cette vaste expérience que travaillent les peuples civilisés. Lorsque les mamelles taries d’un pays ne peuvent plus fournir des aliments généreux aux races qui naissent, il leur faut chercher au loin un sein plus fécond. Les vieux continents ont été la dot des aînés : les nouveaux seront la dot des cadets de la famille humaine. Veillons sur les ossements de nos pères : couvrons de monuments, d’ateliers, de chefs-d’œuvre, s’il se peut, cette Europe arrosée de tant de sang et de sueurs ; mais ne clouons pas les jeunes sociétés à cette terre épuisée et encombrée. Ailleurs, ceux qui vont naître trouveront des berceaux plus verts, un ciel plus limpide, un soleil plus éclatant ; ailleurs l’or et les diamants brillent dans les mines comme autant d’étoiles souterraines, les fruits sont plus savoureux, les fleurs chargées de parfums plus suaves ; ailleurs, la nature se pare comme pour des fiançailles ; ailleurs, enfin, on n’est pas obligé de réchauffer, comme ici, le sol à la vapeur pour lui rendre quelque énergie.

Sans doute, on n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers, — ce que d’ailleurs beaucoup d’émigrants ne pourraient faire, et pour cause ; — et nous savons que jusqu’ici, les émigrations n’ont été trop souvent que des