Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/60

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Ce n’est donc pas l’utilité qui est la mesure de la valeur échangeable, quoiqu’elle lui soit absolument essentielle. Si un objet n’était d’aucune utilité, ou, en d’autres termes, si nous ne pouvions le faire servir à nos jouissances, ou en tirer quelque avantage, il ne posséderait aucune valeur échangeable, quelle que fût d’ailleurs sa rareté, ou quantité de travail nécessaire pour l’acquérir.

Les choses, une fois qu’elles sont reconnues utiles par elles-mêmes,

    Peut-être aurait-il dû remarquer que cette dernière, la valeur échangeable, est celle dont Smith s’est exclusivement occupé dans tout son ouvrage, et que c’est en cela que consiste le grand pas qu’il a fait faire à l’économie politique, à la science de toutes, peut-être, qui influe plus directement sur le sort des hommes. En effet, la Valeur, cette qualité abstraite par laquelle les choses deviennent des Richesses, ou des portions de richesses, était une qualité vague et arbitraire que chacun élevait ou abaissait à son gré, selon l’estime que chacun faisait de sa chose ; mais du moment qu’on a remarqué qu’il fallait que cette valeur fût reconnue et avouée pour qu’elle devînt une richesse réelle, la science a eu dès lors une base fixe : La valeur courante ou échangeable des choses, ce qu’on appelle leur prix courant, lorsque l’évaluation en est faite dans la monnaie du pays. En raisonnant sur cette valeur, sur ce qui la crée, sur ce qui l’altère, on n’a plus raisonné sur des abstractions, pas plus que deux héritiers, après avoir fait l’inventaire d’une succession, ne se partagent des abstractions.

    Je ne saurais m’empêcher de remarquer ici que cette nécessité de fixer la valeur des choses par la valeur qu’on peut obtenir en retour de ces mêmes choses, dans l’échange qu’on voudrait en faire, a détourné la plupart des écrivains du véritable objet des recherches économiques. On a considéré l’échange comme le fondement de la richesse sociale, tandis qu’il n’y ajoute effectivement rien. Deux valeurs qu’on échange entre elles, un boisseau de froment et une paire de ciseaux, ont été préalablement formées avant de s’échanger ; la richesse qui réside en elles existe préalablement à tout échange ; et, bien que les échanges jouent un grand rôle dans l’économie sociale, bien qu’ils soient indispensables pour que les produits parviennent jusqu’à leurs consommateurs, ce n’est point dans les échanges mêmes que consiste la production ou la consommation des richesses. Il y a beaucoup de richesses produites, et même distribuées sans échange effectif. Lorsqu’un gros cultivateur du Kentucky distribue à sa famille et à ses serviteurs le froment de ses terres et la viande de ses troupeaux ; lorsqu’il fait filer et tisser dans sa maison, pour son usage, les laines ou le coton de sa récolte, et qu’il distile même des pêches pour faire sa boisson, lui et les siens produisent et consomment des richesses qui n’ont point subi d’échange.

    La valeur échangeable d’une chose, même lorsque l’échange ne s’effectue pas, sa valeur vénale, c’est-à-dire la valeur qu’elle aurait dans le cas où l’on jugerait à propos de la vendre, suffit donc, même sans qu’aucune vente ait lieu, pour constituer la richesse. C’est ainsi qu’un négociant connaît sa richesse par l’inventaire qu’il fait de son fonds, même sans avoir l’intention de le vendre. J.-B. Say.