Page:Ricardo - Œuvres complètes, Collection des principaux économistes,13.djvu/94

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et à ériger les constructions nécessaires pour assurer et conserver le produit. Adam Smith donne parfois au mot rente le sens rigoureux dans lequel je cherche à le restreindre, mais le plus souvent il l’emploie dans le sens vulgairement usité. Ainsi il dit que les demandes toujours croissantes de bois de construction dans les pays méridionaux de l’Europe, faisant hausser les prix, furent cause que l’on commença à affermer des forêts en Norwège, qui auparavant ne produisaient pas de rente. N’est-il pas clair cependant que celui qui consentit à payer ce qu’il appelle rente, n’avait d’autre but que d’acquérir les arbres précieux qui couvraient le terrain, afin d’obtenir par leur vente le remboursement de son argent, plus des bénéfices ? Si après la coupe et l’enlèvement du bois on continuait à payer au propriétaire une rétribution pour la faculté de cultiver le terrain, soit pour y planter de nouveaux arbres, soit dans tout autre but, on pourrait alors en effet l’appeler rente, parce qu’elle serait payée pour la jouissance des facultés productives du sol ; mais dans le cas cité par Adam Smith, cette rétribution était payée pour avoir la liberté d’enlever et de vendre le bois, et nullement pour la faculté de planter de nouveaux arbres[1].

En parlant aussi de la rente perçue pour les mines de charbon et les carrières de pierre, auxquelles s’appliquent les mêmes observations, il dit que la rémunération payée pour les mines ou les carrières représente la valeur du charbon ou des pierres qui en ont été extraits, et n’a aucun rapport avec les facultés naturelles et indestructibles du sol. Cette distinction est d’une grande importance dans

  1. Si les forêts du propriétaire norvégien étaient en coupe réglée, c’est-à-dire s’il s’était arrangé pour que sa terre lui fournît toujours le même revenu en arbres, les arbres qu’il vendait, ou que le fermier de ses forêts vendait pour lui, formaient bien en réalité le profit résultant du pouvoir productif de son fonds. Si la pousse annuelle ne remplaçait pas la vente annuelle, alors il vendait chaque année une portion du capital dont ses terres étaient couvertes. Smith me paraît au surplus fondé à considérer comme faisant partie du fonds de terre le capital qui s’y trouve répandu en améliorations, en bâtiments d’exploitation, etc., et comme faisant partie du profit des terres ou des fermages, l’intérêt que le propriétaire retire de ce capital. Je sais qu’il est susceptible d’altération, de destruction absolue, tandis que le pouvoir productif du sol ne peut pas se détruire. Mais quant aux profits, quant aux loyers, ce capital suit le sort de la terre elle-même. Les améliorations faites à une terre ne peuvent être transportées à une autre ; elles augmentent son pouvoir productif, et leur effet est en tout semblable aux effets du pouvoir productif indestructible de la terre elle-même. — J.-B. Say.