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milles seront réunis à bord des mêmes vaisseaux. Il n’y avait pas, pour les Acadiens des autres cantons, l’objection qui pouvait exister pour ceux de Beauséjour ; car, il était à peu près impossible aux femmes et aux enfants des autres localités de la péninsule de chercher à s’enfuir avec les bestiaux. Dans toutes ces mesures, il n’y a, au fond, qu’une chose : la cruauté de Lawrence, — cruauté qui allait jusqu’à l’imprudence, car il nous semble que son intérêt devait être de favoriser la réunion des familles, pour calmer le mécontentement, l’agitation, les chagrins, prévenir les efforts désespérés, et faciliter autant que possible la résignation à un sort déjà si cruel.

Était-ce donc pour rendre leur condition encore plus pitoyable qu’il destinait les habitants d’une même localité à des endroits différents, séparés les uns des autres par de grands espaces ? Outre les pères, les mères et les enfants, habitant sous le même toit, il y avait les frères et sœurs mariés, leurs enfants, les oncles et tantes, les cousins, les neveux, formant autant de nouvelles chaînes de parenté qui se briseraient dans l’exil ; il y avait les voisins, les amis, résidant généralement dans le même canton, et avec lesquels s’étaient tissés de ces liens d’intimité qui, dans une communauté pastorale comme était la leur, faisaient l’agrément, le réconfort et le charme de la vie. Si nous laissons de côté les raisons d’humanité, auxquelles Lawrence n’était pas accessible, n’était-il pas de l’intérêt de ce gouverneur de destiner au même endroit les familles des mêmes localités, pour mieux les retenir ensemble, et empêcher ces migrations continuelles à la recherche d’un père, d’une mère, d’un frère, d’une sœur, — lesquelles ne cessèrent définitivement que trente-deux ans après cette année funeste ? — Pouvait-il espérer garder sur le sol de l’exil, intéresser à la vie, transfor-