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le tableau de la situation des 250 familles encore éparses le long des trois rivières de Mem. Chipoudy et Petitcoudiac et pour demander des secours. Il déclare que la plus grande partie des familles ont dû vivre uniquement de viande tout l’hiver et que ce régime alimentaire a amené une maladie épidémique longue qui a enlevé plusieurs personnes. Les secours qu’on promet de lui envoyer du Canada, arriveront trop tard et il craint que la famine ne lui fasse voir le plus cruel des spectacles. « Nous sommes déjà » dit-il, « dans une grande misère »… Nous avons besoin de tout, farine, lard, pois, grain, poudre, plomb royal surtout, (des balles aussi) un peu de vin, mélasse, eau de vie pour les malades… hameçons, lignes, toiles avec un peu de tabac pour nos pauvres gens »…

Avec les secours qu’ils reçurent de Louisbourg et du Canada, les Acadiens purent encore passer l’été de 1756 dans le voisinage de leurs propriétés. Leur nombre s’accrut même d’une cinquantaine de familles de Port-Royal et des Mines qui, le 14 d’Août, abordèrent heureusement à Petitcoudiac. Pour prévenir les horreurs de la famine, il aurait fallu faire passer immédiatement tout ce monde là au Canada, avec les familles qui restaient encore dans l’Acadie française. C’était l’avis de Mr. Leguerne et il travailla de toutes ses forces à le faire prévaloir. Malheureusement, il avait à lutter, d’une part, contre le mauvais vouloir des autorités canadiennes qui craignaient de se charger de ce surcroît de population, parce que le Canada lui-même était menacé de la disette, la récolte y ayant manqué en cet été de 1756 ; d’autre part, ce projet contrariait fort l’attachement que les Acadiens avaient pour leur pays, lesquels n’étaient jamais plus contents que quand on leur proposait d’en rester le plus proche possible. Enfin Leguerne rencontrait un troisième obstacle à la réalisation de son plan, dans l’intérêt de quelques particuliers qu’il ne veut pas nommer, mais qui voulaient profiter de la distribution des secours pour faire un peu de péculat ! Ces personnages intéressés, s’appuyant sur une requête des Acadiens eux-mêmes, les firent placer à Miramichi, « à dix lieues au dessus de la maison des sauvages dans un lieu affreux où l’on n’avait jamais rien semé et où il n’y avait point de chasse et très peu de pêche ». Aussi la famine ne tarda pas à y faire sentir ses rigueurs et voici le tableau effrayant que l’Abbé Leguerne a tracé de la situation de ces Acadiens durant l’hiver de 1756-57 : « Ces pauvres gens sont morts l’hiver dernier en grande quantité de faim et de misère et ceux qui ont échappé à la mort n’ont point échappé à une horrible contagion et ont été réduits par la famine qui règne à manger le cuir de leurs souliers, de la charogne et quelques-uns même ont mangé jusqu’à des excrémens d’animaux »…

Le retour de la belle saison n’améliora guère leur misérable état. Écoutons l’Abbé Ferland faire la description de la disette qui sévit au Canada en l’année 1757. « Le prix des provisions continua à augmenter d’une manière effrayante, et les souffrances du peuple furent excessives. Les Acadiens qui étaient à Miramichi et à la rivière St-Jean, restaient toujours plongés dans la misère la plus profonde ; les plus vigoureux d’entre eux allaient faire des