Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/511

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 499 ]

que les anglicismes de mots et d’expressions le déparent, surtout dans la première partie. Car, au fur et à mesure qu’il avançait dans son ouvrage, il semble que sa plume, longtemps oisive, se soit dérouillée, et qu’elle se soit débarrassée dans une grande mesure de tout ce qui entravait sa marche. Avec de la pratique, notre cousin retrouvait sa formation première ; sa pensée s’inscrivait en de meilleures formules.

Les imperfections de son œuvre pleinement admises, s’ensuit-il, comme l’affirme le critique de la Review, qu’Édouard Richard n’était pas « un homme instruit », et qu’il ne possédait que dans une faible proportion les qualités requises pour être historien ? La seule lecture d’Acadie suffit à convaincre du contraire tout homme de bonne foi. Richard avait évidemment reçu une solide instruction classique, et il s’était donné une immense lecture, en sorte que son esprit avait, pour employer la magnifique expression de Molière, des « clarté de tout ». C’était d’ailleurs un esprit éminemment intuitif, et par là il s’apparentait aux plus grands. Il avait le don de penser par lui-même, ce qui n’est pas si commun. Son intelligence était toujours en éveil et en travail ; elle était curieuse de problèmes, surtout de ceux de l’ordre social et métaphysique. Nous l’avons assez connu pour savoir qu’il vivait dans cette « perpétuelle inquiétude » qui vient de la recherche constante de la vérité. Quant au sujet particulier auquel il appliqua, à une certaine époque, ses belles et riches facultés, — nous voulons dire l’Acadie, — il en arriva à le posséder et à le maîtriser. Ce n’est pas qu’il ait découvert, que nous sachions, aucune source nouvelle d’information. Sa véritable supériorité consiste dans l’usage extraordinaire qu’il a fait de celles qui existaient déjà, dans sa discussion et son interprétation des textes, dans la pénétration avec laquelle il a mis à jour les fraudes, les erreurs, les omissions, les partis-pris officiels de la plupart des historiens anglais, et spécialement les manœuvres grossières de Maître Thomas Akins et les perfides habiletés de Francis Parkman. Était-ce donc là si peu de chose ! Que voulait-on qu’il inventât en fait de documents, quand il est prouvé que les Archives des Acadiens furent enlevées et qu’elles furent en grande partie détruites ? Mais avec les débris qui en restaient, et en soumettant à une critique interne d’une rare sagacité les documents de la partie adverse, Richard a construit une œuvre qui est ce qu’il y a de plus complet et de plus profond sur la question acadienne, une œuvre que l’on peut appeler définitive. La Review of Historical Publications joue sur les mots, quand, arguant de ce que nous avons appelé le travail de Richard un « plaidoyer », elle en conclut que ce n’est pas une histoire. Tout plaidoyer peut n’être pas de la véritable histoire. Mais toute histoire véritable n’est-elle pas ou ne doit-elle pas être un plaidoyer ? En épigraphe à notre Introduction, nous avons cité cette phrase extrêmement juste de Brunetière : « l’historien digne de ce nom veut toujours prouver quelque chose ». Et alors, il fait donc une manière de plaidoyer. Est-ce que, par hasard, l’écrivain de la Revue ontarienne voudrait prétendre que l’on doit étudier l’histoire d’un pays comme on étudie un fossile, avec toute la