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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/519

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Une clause du traité d’Utrecht laissait ces habitants libres d’émigrer en pays français, dans l’espace d’un an, en emportant leurs biens, ou de rester dans la Province, en laquelle il leur était promis solennellement, en retour de leur soumission à leur nouveau souverain, protection commune aux sujets anglais, et libre exercice de leur religion, conformément aux lois de la Grande-Bretagne. Une lettre de la reine Anne vint, peu après, amplifier les privilèges contenus dans cette clause, prolonger, sans en marquer la limite, le temps laissé aux Acadiens qui choisiraient d’émigrer, reconnaître leur droit à disposer de leurs immeubles, et toujours leur assurer le libre exercice de leur religion, « en autant que le permettent les lois de la Grande-Bretagne ». Cette restriction ne voulait pas peu dire, car la religion catholique romaine était proscrite par les lois anglaises. Dans sa conférence sur Notre Situation Religieuse en 1764, M. Thomas Chapais a très bien montré, ici même, l’ostracisme étroit, violent, fanatique, où était tenu le catholicisme, dans l’Angleterre d’alors et toutes ses dépendances, comme il a aussi établi tout ce qu’il a fallu, de la part de notre clergé, d’adroite énergie, de diplomatie honnête, et de sens profond de nos intérêts religieux et nationaux, pour détourner de chez-nous l’effet de ces lois iniques, et pour rendre l’Église du Canada viable et prospère.

Extrêmement attachés à leurs croyances, qui étaient tout pour eux, et ne séparant pas, dans leurs cœurs, l’amour de leur religion de l’amour de leur langue et de leurs traditions ancestrales, voyant dans ce double héritage des affinités en quelque sorte nécessaires, et comprenant que le nouvel avenir qui s’offrait à eux serait très probablement fatal à l’un et à l’autre, les Acadiens, d’un commun accord, se résolurent à passer sur les terres de « leur bon Roy de France » ainsi qu’ils disaient. Décision héroïque, en un sens : car, si cette émigration les sauvait des dangers d’une apostasie religieuse et nationale, elle les obligeait par contre à abandonner avec pertes des établissements déjà prospères auxquels les rivaient de chers souvenirs, et à aller recommencer ailleurs, en des conditions matériellement moins favorables, les durs travaux de défrichement et de colonisation. Il faut s’incliner avec respect devant tout ce que cette résolution comportait d’idéalisme supérieur et invincible. Nous verrons, en effet, que cette attitude ne fut pas le résultat d’un enthousiasme passager ni d’une éphémère sentimentalité : elle sera inébranlable. Et ce sera finalement pour n’avoir voulu rien sacrifier d’un devoir que leur conscience leur représentait comme essentiel et sacré qu’ils seront semés aux quatre vents du ciel.

Dans quelle mesure les missionnaires acadiens ont-ils pesé sur la résolution prise par les habitants ? La réponse est très simple. Inutile de dire que cette réponse, nous allons la chercher, non pas dans les perfides récits de Francis Parkman, ni dans les grossières imputations de la plupart des historiens anglais, absolument incapables de comprendre et d’apprécier le rôle du sacerdoce catholique, mais dans les faits réels, lesquels sont en conformité avec la constante tradition ecclésiastique. Les missionnaires acadiens étaient les con-