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cette fin. Aussi, le 25 mars 1756, lui écrivent-ils encore de Whitehall, en réponse aux dépêches dans lesquelles le Gouverneur leur avait parlé de la déportation déjà en partie réalisée : « Nous avons soumis le passage de votre lettre relatif à la déportation des habitants français et aux mesures que vous avez dû prendre pour exécuter ce dessein, sous les yeux du secrétaire d’État de Sa Majesté ; et comme vous représentez que cette déportation importait nécessairement à la sécurité et à la protection de la Province dans les conjonctures critiques où nous sommes, nous ne doutons pas que votre conduite en cette affaire ne soit pleinement approuvée par Sa Majesté. »[1] Est-ce assez clair ? Cela ne suffit-il pas à montrer la complicité de la Métropole dans ce crime ? Il y a bien d’autres documents qui établissent sa large part de responsabilité. Nous les citons dans notre ouvrage. Même, l’on trouva que Lawrence ne s’inquiétait pas assez, une fois l’œuvre accomplie, d’en affermir les bons résultats. N’y a-t-il pas, en effet, aux Archives une lettre des Lords dans laquelle ceux-ci regrettent « qu’un trop grand nombre d’Acadiens aient échappé à la proscription », et déplorent que « les colonies du sud aient laissé les déportés reprendre le chemin de la Nouvelle-Écosse. » Heureusement que « les gouverneurs de New-York et du Massachusetts leur ont barré le passage ! » Autrement à quoi n’aurait-on pu s’attendre de leur parti[2].

Voilà le seul genre de protestation que les autorités britanniques aient fait entendre au sujet de l’œuvre exécutée par Lawrence. Et qu’implique-t-elle ? un désaveu ? Bien au contraire : la crainte qu’il n’ait pas poussé son action jusqu’à ses derniers effets.

Et donc, Lawrence a carte blanche. Conformément à la suggestion émise par les Lords du Commerce, le juge-en-chef Jonathan Belcher rédige une consultation dont la conclusion est que, tant qu’il restera un français dans la province, il n’y a pas à espérer que la paix y sera stable, et que le seul parti à prendre pour assurer la sécurité du pays est de disséminer ces français parmi les colonies anglaises du continent. Entre temps, l’arpenteur Morris avait, sur l’ordre du Gouverneur, préparé un rapport détaillé sur les divers groupements acadiens, leur nombre, leur force, leurs richesses, examiné sous toutes la question de savoir comment s’y prendre pour s’en débarrasser, et indiqué de façon précise et détaillée le moyen le plus sûr d’en finir à jamais avec cette engeance : la déportation également.

Avec ces beaux documents en portefeuille, le Gouverneur, ayant souci de la légalité, procède dans les formes. Car il faut qu’il ait au moins une apparence de raison pour mettre à exécution une sentence déjà tout élaborée ; il faut

  1. « … we doubt not but that your conduct herein will meet with His Majesty’s approbation. » N. S. D., p. 298.
  2. Can. Arch. (1894) Nova Scotia. 1756, March 10. Whitehall. Lords of Trade to Lawrence, B. T. N. S., vol. 36, p. 300.