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peine de mort, peine aggravée de toutes les circonstances abominables qui ont accompagné et suivi son exécution ? Méritaient-ils seulement l’ombre d’un châtiment ? La vérité, fondée sur l’examen attentif des faits tels que relatés dans les documents de la partie adverse, — et c’est pourquoi ce jugement a tant de poids, — nous oblige à dire que non. Cette peine a été portée gratuitement. Et parce qu’elle était si considérable, et qu’elle impliquait à la fois la confiscation des biens et des immeubles, le démembrement des familles, l’exil dans les conditions les plus affreuses, elle a pris les proportions d’un crime contre la justice et le droit des gens : ce fut un attentat contre l’humanité, et, en un certain sens, le plus formidable que l’histoire eût encore enregistré. L’affaire du serment n’était qu’un leurre. La simple équité exigeait qu’on laissât les habitants français libres de s’en aller en territoire français, ainsi qu’ils le voulaient, dans les délais fixés par le traité d’Utrecht. Les obstacles à leur départ étant venus de l’autorité britannique, leur droit primordial restait intangible, et c’était une infamie de plus que d’invoquer à ce propos la prescription. Un serment conditionnel, qui sauvegardait la délicatesse de leurs sentiments, et donnait à leur situation éminemment fausse un équilibre rationnel, ayant été accepté et ratifié officiellement, les gouverneurs et leurs chefs hiérarchiques devaient en respecter la teneur, ainsi que les assermentés l’avaient toujours fait, — ou alors ceux-ci reprenaient leur liberté. S’il était vrai d’ailleurs, ainsi qu’un gouverneur le leur avait affirmé, que le roi de Grande-Bretagne ne pouvait légalement enrôler dans ses milices actives des catholiques romains,[1] pourquoi donc tant presser les Acadiens pour leur faire prêter un nouveau serment, lequel précisément n’ajoutait au premier qu’une chose : l’obligation du service militaire ? Une telle insistance impliquait contradiction ; même si elle eût réussi à faire céder les Acadiens, ce succès était annulé à l’avance de par les lois anglaises ; il ne donnait pas un homme de plus aux armées du Souverain Seigneur de l’Acadie ou Nouvelle-Écosse.

Ce qui achève de montrer que la question du serment n’était qu’un prétexte, un coup monté, à défaut duquel l’on aurait inventé autre chose, est ceci : quand les Acadiens, poussés à bout, et voyant enfin qu’il ne leur reste pas d’autre moyen d’empêcher l’orage qui les menace d’éclater, s’offrent à prêter ce serment absolu, on leur répond qu’il n’en est plus temps, qu’ils en ont manqué l’occasion, laquelle ne peut plus revenir, que d’ailleurs le serment, s’ils le prêtaient maintenant, n’aurait aucune valeur, étant donné qu’il ne présenterait pas les garanties de liberté et de sincérité voulues. Tant il est vrai que l’on était en quête d’un motif pour déchaîner les malheurs longuement amoncelés sur la tête de ces paisibles, trop paisibles habitants, par une lâche et brutale diplomatie. J’ai bien dit : longuement amoncelés. La déportation ne fut

  1. « …it being contrary to the laws of Great Britain that a Roman Catholic should serve in the army… » N. S. D., p. 67.