Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/533

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 521 ]
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

ment. Et Charles Lawrence aura eu la gloire de forger le dernier anneau destiné à relier les deux bouts de la chaîne que la diplomatie britannique avait tendue autour des Acadiens, et d’ouvrir à ces malheureux les portes de l’exil.

Les temps étaient mûrs ! Il ne fallait pas différer davantage la réalisation du plan machiavélique conçu dès le premier jour, qui avait pu se voiler sous d’hypocrites manœuvres destinées à donner le change sur les intentions réelles, mais qui n’en avait que mieux grandi dans l’ombre. Tous les procédés dilatoires qui avaient eu cours jusque-là, et qui étaient nécessités par l’état insuffisant dans lequel se trouvaient les forces anglaises, avaient eu l’avantage d’endormir les victimes et de les bercer d’illusions sur le véritable avenir qu’on leur réservait. C’était le moment de les secouer brutalement, et de les mettre en face d’un sort fixé de longue date et auquel il ne leur était pas permis d’échapper.

Les temps étaient mûrs ! Quand l’Angleterre s’emparait de la péninsule acadienne, cette conquête ne marquait pas le terme de ses ambitions. Oh ! ses projets allaient bien au delà de ce territoire, et même des îles adjacentes. L’expansion britannique, dans toute la ferveur de ses origines, pouvait-elle se contenter d’un si mince morceau de pays ? Pareille conquête n’était qu’une étape dans l’exécution d’un dessein qui n’allait à rien moins qu’à embrasser tout le continent nord-américain.[1] Or, en cette année 1755, la Grande-Bretagne jugea le moment venu de donner l’essor à sa politique mondiale. Le Canada tant convoité, elle allait en tenter à nouveau l’investissement et par l’ouest et par l’est. Pour réussir dans ses efforts du côté de l’est, ne lui fallait-il pas d’abord y mettre à néant les restes de la puissance française ? Et cela voulait dire que non seulement la réduction de Beauséjour et de l’Île Royale entrait essentiellement dans son plan d’action, cela voulait dire aussi que tous les Acadiens de la péninsule, ces français neutres, ces habitants paisibles, qui pendant quarante années avaient donné l’exemple de la plus complète soumission au gouvernement, et s’étaient distingués maintes fois, et dans des circonstances critiques, par leur fidélité à leur serment de neutralité, oui, cela signifiait que ces bons paysans, absolument inoffensifs, seraient d’abord jetés loin du théâtre des opérations que l’on méditait, balayés comme les feuilles au vent d’automne, ah ! oui, « transportés ailleurs ! »

Eh ! quoi, dans cette avance vers le Canada, dans cette aventure triomphale que vont inaugurer les armées anglaises, laisserait-on derrière soi ce peuple de plusieurs milliers d’hommes, des étrangers, des ennemis, ces Français soi-disant neutres qu’aucune promesse n’a pu faire renoncer à leurs traditions ancestrales, au trésor de leur langue et de leur religion, ces papistes que rien, ni caresses

  1. Dans le Journal de Winslow, l’on trouve l’écho de ces aspirations, qui étaient dans l’air, pour ainsi parler.