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prospérité. Cette beauté, les Anglais l’ont ravagée à jamais ; et ils ont ainsi fait pleurer également la beauté du monde. La beauté quelle qu’elle soit c’est quelque chose qui appartient en quelque sorte à l’univers entier ; y toucher la profaner, la diminuer, la détruire, c’est attenter au trésor du monde. Car, les ordres de Lawrence étaient précis : tout ce qui ne pût pas être converti en espèces sonnantes ou devenir une proie facile aux mains des forbans qui entouraient le gouverneur, fut réduit en cendres. Églises, maisons, granges, moulins, moissons, tout cela fut brûlé. « Vous ferez le désert derrière vous, avait mandé cet homme : ce qui ne pourra pas être emporté ou vendu, devra être livré aux flammes. Il faut décourager, par un tel spectacle, ceux des proscrits qui seraient tentés, un jour ou l’autre, de venir s’établir sur leurs anciennes terres »[1] Et donc, la proclamation de Winslow réduit les Acadiens, — ces gros habitants, comme qui dirait, — à la mendicité. Il leur annonce ensuite qu’ils vont être déportés. Il ne dit pas où. Ce n’est pas d’expulsion qu’il s’agit. Ce serait déjà une grande cruauté. Mais enfin, les victimes auraient du moins la liberté de leurs mouvements. Le choix de leur exil ne leur est pas laissé. Elles iront là où on les mènera, en lieu sûr. Le colonel ajoute qu’il s’efforcera de mettre les mêmes familles sur les mêmes vaisseaux, de manière à empêcher qu’elles ne soient démembrées : I shall do everything in my power that whole familys shall go in the same vessel. Donnons-lui crédit de cette intention ; nous croyons qu’elle fût sincère. Aucun document ne contient d’ordre contraire ; et l’on ne peut soutenir que la barbarie des autorités ait été jusqu’à commander que les familles fussent disloquées. Mais dans la pratique, c’est cependant ce qui s’est produit dans un très grand nombre de cas, j’oserais dire dans la presque totalité des cas. Car Winslow ne put être partout pour veiller à ce que sa parole sur ce point fut respectée. Il avait, par exemple dans Murray un subalterne qui ne manquait pas de lettres, — sa correspondance, à l’écriture très belle, est émaillée, à l’occasion, de souvenirs classiques, — mais qui procéda dans l’exécution de son mandat avec une fureur glacée. Et à Grand-Pré même, où présidait le colonel en personne, l’embarquement des proscrits a été loin de se faire avec discipline et mesure. En somme, la confusion la plus extrême a marqué cet acte aux divers endroits assignés pour le rendez-vous des proscrits. D’abord, les vaisseaux ont mis du temps à venir, et ces retards énervaient les autorités, les agaçaient, elles qui voulaient faire vite et se débarras-

  1. « You will destroy all the villages on the North and North West Side of the Isthmus that ly at any distance from the Fort of Beauséjour, and use every other method to distress, as much as can be, those who may attempt to conceal themselves in the woods… » (Lawrence to Monckton, Halifax, 8 Aug. 1755, N. S. D., p. 270). « …you must proceed by the most vigorous measures possible not only in compelling them to embark but in depriving those who shall escape of all means of shelter or support by burning their houses, and by destroying every thing that may afford them means of subsistence in the country ». (Instruction for Winslow, etc,. N. S. D., p. 272).