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les institutions modèlent un peuple à leur image. Car dans la vie psychologique aussi bien que dans la vie sociale, tout effet devient cause, et tout phénomène déterminé devient à son tour phénomène déterminant. Les nuances qui, il y a trois ou quatre siècles, séparaient les Anglais des Français se sont accentuées grâce aux voies différentes dans lesquelles ces deux nations se sont engagées. Ce n’est pas à la faveur d’un idéal abstrait ou d’un système préconçu que la liberté s’est introduite en Angleterre. Des besoins nouveaux en réclamaient l’application graduelle. Et l’expérience a démontré que la liberté accordée sous l’empire de pareilles conditions est du plus grand prix. Le peuple anglais a eu le temps de se faire à ce nouveau régime, où le gouvernement évoluait sagement dans le sens de la liberté au fur et à mesure que la nation le demandait.

Et ainsi, tandis que l’Angleterre, élargissant de plus en plus sa conception du pouvoir, voyait grandir son prestige, la France enfoncée dans l’absolutisme, voyait au contraire diminuer son éclat et son influence. Or, un moment vint où cette dernière nation voulût non-seulement reprendre les privilèges qu’elle avait perdus, mais encore se placer d’un coup à la tête des peuples libres, briser soudainement toutes les antiques servitudes, et du jour au lendemain opérer une émancipation qui avait coûté à l’Angleterre trois siècles de patients efforts. L’expérience prouva que l’édifice social n’a de solidité que s’il est lentement construit, pierre par pierre, et si chacune de ses parties est alignée et cimentée avec beaucoup de soin : l’évolution d’un peuple vers le progrès doit se faire sagement, étape par étape.

Vouloir lui faire franchir d’un bond tous les intermédiaires qui le séparent du but rêvé serait compromettre son avenir. Quand l’Angleterre en était encore à la période diffi-