Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome I, 1916.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[ 372 ]

à la faveur de certaine culture, quand viendrait la maturité, cette semence en apparence éteinte porterait des fruits. L’âme des ancêtres ne meurt jamais ; elle passe avec le dépôt sacré des traditions dans l’âme des descendants, comme un écho qui relie les générations les unes aux autres et qui fait de tout un peuple une seule voix, une seule vie. Richard lit l’histoire ; il lit Rameau, ce savant et illustre interprète des choses de l’Acadie ; il lit Casgrain, cet autre écrivain sympathique qui a si bien parlé de la race opprimée. En 1893, un journal de Toronto, le Week, ayant attaqué les Acadiens, Richard prépare toute une série d’articles en réponse à l’auteur ; mais ce dernier — Pierce Hamilton, — s’étant tout-à-coup donné la mort, dans un moment d’hallucination, les articles ne sont pas publiés : ces premières pages hâtives seront le premier noyau de l’œuvre dont nous allons parler.

Chose bizarre et qui peint bien le caractère de l’auteur, il entreprendra ce grand procès, non pas tant pour revendiquer les droits des Acadiens, si cruellement éprouvés, que pour découvrir les motifs cachés qui doivent avoir justifié, au moins dans une certaine mesure, la persécution. « Il me semble, dit-il, que si je pouvais trouver quelque justification, je saurais mieux me résigner, » et sans doute ce sentiment est bien dans la nature. Il craint que Rameau ne soit partial. Il dit, tant son désir d’impartialité est grand : « Quand j’aurais pu mettre en question, parfois, la sincérité de quelques historiens, j’ai plutôt usé d’indulgence et me suis rangé de leur côté. » Une telle attitude provient, chez Richard, de l’instinct de la justice, instinct porté jusqu’au scrupule, et c’est au moins une garantie donnée à l’adversaire qu’il va combattre, mais c’en est une autre encore pour le lecteur qui pourrait redouter les emportements de la passion chez l’écrivain. La justice n’est peut-être juste qu’en raison de certaine indulgence. « En cherchant le juste, dit la Sagesse, craignez de tomber dans l’injuste ! »


II


L’ouvrage « Acadia » n’est pas précisément une histoire de l’Acadie, à la façon de plusieurs autres qui l’ont précédé. Il ne rappelle guère la méthode de Rameau qui embrasse tout. Il ressemble encore moins à celui de Casgrain « Un pèlerinage au pays d’Évangeline », l’un des derniers qui aient paru en français sur les Acadiens, et qui est moins une histoire qu’une causerie sur l’histoire. Richard n’a entrepris de parler que d’une époque particulière de l’histoire acadienne, celle qui commence en 1710, un siècle et plus après la fondation de Port-Royal, pour se terminer vers l’année 1755, qui marque le principal acte du drame de la déportation. Son but est alors rempli. Ce n’en est pas moins un travail de deux volumes in 8° de quatre cents pages chacun, aussi considérable pour le moins que celui d’« Une colonie féodale en Amérique » de Rameau, et c’est le double du « Pèlerinage au pays d’Évangéline ».

Les événements qui précèdent la prise de Port-Royal, en 1710, occupent sa pensée, mais seulement dans la mesure il est utile pour mieux mettre le sujet