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Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome I, 1916.djvu/421

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Qui ne sait, à présent, les conditions politiques si différentes dans lesquelles luttèrent la France et l’Angleterre pour la suprématie coloniale ? Il eut fallu beaucoup de patiente étude pour comparer les deux pays, et distribuer ensuite des brevets de supériorité à l’un aux dépens de l’autre. Richard n’avait eu ni le temps ni le loisir de faire cet examen, et c’est dommage, car je crois qu’il eut tiré de là des considérations intéressantes, qui eussent probablement modifié son jugement. Faute de s’y être livré, en tout cas, les comparaisons qu’il fait entre la sagesse anglaise et la légèreté française, outre qu’elles sont bien rebattues, sont d’une philosophie douteuse, superficielle et, disons le mot, sans portée aucune. Il n’est pas sans à propos de remarquer qu’en faisant ce procès sommaire des deux nations rivales au cours de son ouvrage, Richard, après avoir vanté la marche régulière du progrès, chez l’une, sa sagesse traditionnelle, finit par dire que les hommes d’État anglais, pas plus que les hommes d’État français, ne prévirent l’avenir des colonies, que l’Angleterre, enfin, n’a été mue que par l’égoïsme, tandis que la France l’a été par des sentiments d’humanité. Ce n’est pas si bien pour la sagesse britannique et ce n’est pas si mal pour la légèreté française. Au demeurant, ces grandes généralisations sont trop générales pour valoir quelque chose.


CONCLUSION


L’ouvrage de Richard comprend, ainsi que je l’ai dit, deux volumes de 400 pages chacun. C’est long ! L’écrivain se répète et s’attarde souvent à des considérations éloignées du sujet. Il a le défaut de n’indiquer qu’imparfaitement, même quand il les indique, les sources où il a puisé. La matière est parfois mêlée et les opinions sur quelques points bien surannées. Il y aurait à chicaner sur les principes concernant le progrès et la liberté. Voilà des réserves, et quelques autres peut-être encore, que l’on pourrait faire. Mais quels que soient les reproches qu’on puisse adresser à l’auteur, son ouvrage possède d’éminentes qualités de fond. Richard n’est ni un imitateur ni un simple collectionneur de faits ou d’anecdotes. C’est un chercheur patient, un analyste pénétrant et de la plus délicate probité. Il pense par lui-même, c’est pourquoi il a écrit un livre original et qui restera. C’est un grand mérite d’avoir pu ajouter, ainsi qu’il l’a fait, à Rameau et à Casgrain. En somme, son ouvrage constitue un réquisitoire formidable et, à travers les nombreuses critiques dont il a été l’objet, il n’y a eu qu’une voix pour en reconnaître la supériorité. Dès 1894, l’auteur était fait Docteur ès-lettres de l’Université Laval et membre de la Société Royale du Canada. Il est peu de journaux anglais, parmi ceux qui comptent, qui n’aient su gré à l’auteur de son impartialité. Sa manière a plu à de nobles esprits, indignés de la fraude criminelle qui avait jusque-là égaré l’opinion. Quant aux Acadiens, l’on se figure aisément l’accueil que cet ouvrage devait recevoir chez eux. « Ah ! Monsieur, » nous disait, il y a deux ans, un publiciste acadien, M. Landry, du journal L’Évangeline de Moncton, « l’ouvrage de Richard est notre résurrection ! » De fait, jusqu’à 1894, l’on avait bien écrit