Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/113

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Gardez-vous qu’on vous trouve cette lettre ; brûlez-la ; elle se sent trop de la tendresse d’une mère, pour une fille dont l’obstination ne peut être justifiée.

Ne m’écrivez plus. Je ne puis rien faire pour vous ; mais vous pouvez tout par vous-même. Revenons, ma chère, à mon triste récit. Après cette lettre, vous vous imaginez bien que je n’ai pas dû me promettre beaucoup d’effet d’une tentative directe auprès de mon père. Cependant j’ai cru qu’il était convenable de lui écrire, ne fût-ce que pour me rendre témoignage à moi-même, que je n’ai rien négligé. Voici ma lettre.

" je n’ai pas la présomption de vouloir entrer en dispute avec mon père. J’implore seulement sa bonté et son indulgence sur un point d’où mon bonheur dépend pour cette vie, et peut-être pour l’autre. Je le supplie de ne pas faire un crime à sa fille, d’une aversion qu’il lui est impossible de surmonter. Je le conjure de ne pas permettre que je sois sacrifiée à des projets et à des possibilités éloignées. Je me plains du malheur que j’ai d’être bannie de sa présence, et prisonnière dans ma chambre. Sur tout autre point, je lui promets un respect aveugle et une résignation parfaite à toutes ses volontés. Je répète l’offre de me borner au célibat, et je ne crains pas de le prendre à témoin lui-même, que je n’ai jamais donné sujet de soupçonner ma fidélité. Je demande en grâce qu’il me soit permis de paraître devant lui et devant ma mère, et de les avoir tous deux pour juges de ma conduite ; faveur d’autant plus chère pour moi, que j’ai trop de raisons de croire qu’on me dresse des piéges, et qu’on emploie l’artifice pour tirer avantage de mes discours, pendant que je n’ai pas la liberté de parler pour ma défense. Je finis avec l’espérance que les instigations de mon frère ne feront pas perdre à une malheureuse fille la tendresse et la bonté de son père ".

Il faut vous faire part aussi de la cruelle réponse. Elle m’a été envoyée ouverte, quoique par les mains de Betty Barnes, qui m’a fait connaître à son air qu’elle n’en ignorait pas le fond.

Mercredi.

Je vous écris, fille perverse, avec toute l’indignation que votre désobéissance mérite. Demander le pardon de votre faute, avec la résolution d’y persévérer, c’est une hardiesse insupportable et sans exemple. Est-ce mon autorité que vous bravez ? Vos réflexions injurieuses contre un frère qui fait l’honneur de la famille, méritent mon plus vif ressentiment. Je vois combien vous faites peu de cas des devoirs du sang, et j’en devine facilement la cause. J’ai peine à supporter les réflexions que cette idée offre d’elle-même. Votre conduite à l’égard d’une mère trop tendre et trop indulgente… mais la patience m’échappe. Continuez, fille rebelle, de vivre loin de mes yeux, jusqu’à ce que vous ayez appris à vous conformer à mes volontés. Ingrate créature ! Votre lettre n’est qu’un reproche de mon indulgence passée. Ne m’écrivez plus que vous ne sachiez mieux ce que vous faites, et que vous n’ayez reconnu ce que vous devez à un père justement irrité.

Cette furieuse lettre était accompagnée d’un billet de ma mère, ouvert aussi et sans adresse. Ceux qui prennent tant de peine à liguer tout le monde contre moi, l’ont obligée apparemment de rendre témoignage contre sa malheureuse fille. Mais ce qu’elle m’écrit n’étant qu’une répé