Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/120

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tail en est d’autant plus intéressant, qu’elle faisait tomber ses réflexions tout à la fois sur sa fille, sur Hickman son favori, et sur votre Lovelace.

Voici le récit auquel je me suis engagée. " je ne saurais disconvenir, m’a-t-elle dit, qu’il n’y ait quelque chose d’un peu dur dans la situation de Miss Harlove, quoiqu’il soit bien fâcheux aussi, comme le dit sa mère, qu’une fille dont l’obéissance s’est toujours fait admirer sur les moindres points, s’oppose à la volonté de ses parens dans le point essentiel. Mais, pour rendre justice aux deux parties, si l’on ne peut s’empêcher de plaindre Miss Harlove, et de reconnaître que l’homme qu’on la presse de recevoir n’a pas l’espèce de mérite qu’une ame aussi délicate que la sienne peut souhaiter raisonnablement dans un mari, n’est-il pas vrai aussi que cet homme est préférable à un libertin, qui s’est battu, d’ailleurs, en duel, avec son frère ? C’est ce que les pères et mères doivent penser, quand on retrancherait même cette circonstance. Il serait bien étrange qu’ils ne sussent pas ce qui est le plus convenable à leurs enfans ".

Oui, ai-je répondu en moi-même, ils doivent l’avoir appris par leur propre expérience, si de petites vues sordides ne leur donnent pas en faveur d’un homme la même prévention qu’ils reprochent à leur fille en faveur d’un autre ; et s’il n’y a pas quelque oncle bizarre, un oncle Antonin, qui fortifie cette prévention, comme il ne l’inspire que trop à ma mère : pauvre petit esprit, rampant d’un côté, absolu de l’autre, est-ce à lui de raisonner sur les devoirs des enfans à l’égard des pères, sans avoir appris ce que les pères doivent aussi à leurs enfans ? Mais c’est votre mère, souffrez que je le dise, qui a gâté les trois frères par des excès mal entendus de douceur et de complaisance.

" vous voyez, a continué la mienne, que je tiens, ma fille, une conduite bien différente avec vous. Je vous ai proposé un homme du caractère le plus doux, et le plus poli, comme le plus sage et le plus réglé ".

Je n’ai pas une trop grande idée, ma chère, du jugement de ma mère sur ce qui est le plus poli . Elle juge de l’honnête Hickman pour sa fille, comme je suppose qu’elle aurait fait il y a vingt ans pour elle-même. Hickman me paraît de cette trempe un peu surannée, j’entends pour le caractère ; trop maniéré, ma chère, trop formaliste, comme vous en conviendrez vous-même. " d’excellente famille, a continué ma mère, riche en biens clairs, et qui peuvent encore augmenter " (c’est une considération, comme vous voyez, qui est d’un grand poids sur l’esprit de ma mère). " je vous prie, je vous demande en grâce de l’encourager, ou du moins, de ne pas prendre droit de son attachement et de sa soumission pour le faire souffrir ". Oui, vraiment ! Lui marquer de la bonté, afin qu’il prenne bientôt avec moi des airs familiers. Il faut tenir cette sorte d’hommes à une juste distance de soi ; c’est mon avis. " cependant j’aurai bien de la peine à vous faire entrer là-dessus dans mes sentimens. Que diriez-vous si je vous traitais, comme Miss Harlove est traitée par son père et par sa mère " ?

" ce que je dirais, madame ? La réponse est aisée. Je ne dirais rien. Croyez-vous qu’un tel traitement, à l’égard d’une jeune personne de ce mérite, ne soit pas insupportable " ? " doucement, Nancy, doucement. Vous n’avez entendu qu’une partie ; et n’en fallût-il juger que par quelques endroits de ses lettres que vous