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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/191

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si basses, si indignes d’une sœur ! Elle m’a reproché d’avoir ensorcelé tout le monde, c’est son expression, par mes manières flatteuses et insinuantes ; d’attirer sur moi toute l’attention dans les lieux où je parais avec elle. Combien de fois, m’a-t-elle dit, lorsque nous nous sommes trouvés, mon frère et moi, dans une compagnie où l’on nous écoutait avec complaisance, n’êtes-vous survenue, avec vos orgueilleux airs de modestie, que pour nous dérober la considération qu’on avait pour nous ? Il n’était plus question de vos aînés ; c’était à l’opinion de Miss Clarisse qu’on s’en rapportoit. Il fallait nous taire, ou parler sans être écoutés. Elle s’est arrêtée, comme pour reprendre haleine. Continuez, chère Bella ! Oui, je continuerai. N’avez-vous pas ensorcelé mon grand-père ? Se plaisait-il à quelque chose qui ne fût pas sorti de votre bouche ou de vos mains ? Le bon vieux radoteur ! Comment ne le teniez-vous pas suspendu à votre langue dorée ? Et que disiez-vous, néanmoins, que faisiez-vous, qu’on n’eût pu dire et faire aussi-bien que vous ? Son testament fait assez voir combien vos artifices l’avoient séduit. ôter à ses propres fils tout son bien d’acquisition, pour le donner à une petite-fille, et au plus jeune encore de ses petits-enfans ! Vous donner tous les tableaux de famille, parce qu’il vous entendait faire la connaisseuse en peinture, et qu’il vous voyait nettoyer de vos belles mains les portraits de vos aïeux, quoique vous suiviez si mal leurs exemples ! Vous laisser une quantité de vaisselle d’argent qui suffirait pour deux ou trois grosses maisons, et défendre qu’elle soit changée, parce que son précieux enfant n’avait d’admiration que pour l’ancien goût ! Ces reproches étoient trop méprisables pour me piquer. Ma pauvre sœur ! Est-il possible, lui ai-je dit, que vous distinguiez si mal entre l’art et la nature ? Si j’ai obligé quelqu’un, je m’en suis fait un bonheur ; et je n’ai pas cherché d’autre récompense. Mon ame est au-dessus de l’art et des sordides motifs que vous m’attribuez. Que de raisons n’ai-je pas de souhaiter que mon grand-père n’eût jamais pensé à m’accorder des distinctions ? Mais il a vu mon frère amplement pourvu par des donations étrangères et par ses droits naturels ; il a souhaité que les biens qu’il a répandus sur moi devinssent une raison pour vous faire obtenir la meilleure part aux faveurs de mon père, et je ne doute pas que vous ne vous y attendiez tous deux. Vous savez, Bella, que la terre que mon grand-père m’a léguée ne fait pas la moitié du bien réel qu’il a laissé. Quelle comparaison, a repliqué ma sœur, entre des espérances et une actuelle possession, accordée, d’ailleurs, avec des distinctions qui vous ont fait plus d’honneur que la grandeur même du présent. C’est apparemment, Bella, ce qui a causé mon infortune en excitant votre jalousie. Mais n’ai-je pas abandonné cette possession de bonne grâce ? Oui, a-t-elle interrompu, et je vous trouve encore plus artificieuse dans la manière… on n’aurait jamais pénétré vos desseins jusqu’au fond, si l’on n’avait trouvé le moyen de vous tenir un peu à l’écart, et de vous réduire à des déclarations positives ; si l’on ne vous avait ôté celui de faire jouer vos petits ressorts, de vous entortiller, comme un serpent, autour de votre mère, et de la faire pleurer de la nécessité même de vous refuser quelque chose dont votre petit cœur obstiné s’est une fois rempli.