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Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/252

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J’ai trouvé ce matin une lettre de lui, qui sera, je suppose, une réponse à ma dernière. Mais je ne l’ai pas encore ouverte ; et j’attendrai, pour l’ouvrir, l’effet de mes nouvelles offres. Qu’on me délivre de l’homme que je hais, et je renoncerai de tout mon cœur à celui que je pourrais préférer. Quand j’aurais pour l’un tout le penchant que vous vous imaginez, j’en serais quitte pour un chagrin passager, dont le tems et la discrétion seraient le remède. Ce sacrifice est un de ceux qu’un enfant doit à ses proches et à ses amis, lorsqu’ils insistent à l’exiger : au lieu que l’autre, c’est-à-dire, celui d’accepter un mari qu’on ne saurait souffrir, blesse non-seulement l’honnêteté morale, mais encore toutes les autres vertus, puisqu’il n’est propre, comme je me souviens de l’avoir écrit à Solmes même, qu’à faire une mauvaise femme de celle qui aurait eu le plus de goût pour un autre caractère. Comment sera-t-elle alors une bonne mère, une bonne maîtresse, une bonne amie ? Et de quoi sera-t-elle capable, que de répandre le mauvais exemple autour de soi, et de déshonorer sa famille ? Dans l’incertitude où je suis, j’ai quelque regret de porter ma lettre au dépôt, parce que c’est vous en causer autant qu’à moi. Mais il y aurait de l’affectation à résister aux soins officieux de Betty, qui m’a déjà pressée deux fois d’aller prendre l’air. Je vais descendre, pour visiter ma volière, et dans l’espérance d’ailleurs de trouver quelque chose de vous.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

lundi après midi, 27 mars. Vous êtes informée de tout ce qui s’est passé ce matin jusqu’à midi ; et j’espère que le détail que je viens de mettre au dépôt sera bientôt suivi d’une autre lettre, par laquelle je cesserai de vous tenir en suspens. Cette situation ne peut vous peser autant qu’à moi. Mon sang se trouble à chaque pas qui se fait sur l’escalier, et pour chaque porte que j’entends ouvrir ou fermer. Ils sont assemblés depuis quelque tems, et je crois leur délibération fort sérieuse. Cependant quel sujet pour de si longs débats, dans une proposition si simple et qui répond sur le champ à toutes leurs vues ? Peuvent-ils insister un moment sur M Solmes, lorsqu’ils voient ce que je leur offre pour m’en délivrer ? Je suppose que l’embarras vient de la délicatesse de Bella, qui se fait presser pour accepter une terre et un mari ; ou de son orgueil, qui lui donne de la répugnance à prendre le refus de sa sœur

c’est du moins ce qu’elle

m’a dit un jour. Ou peut-être mon frère demande-t-il quelque équivalent pour son droit de reversion. Ces petits démêlés d’intérêts ne s’attirent que trop d’attention dans notre famille. C’est sans doute à l’une ou l’autre de ces deux raisons que je dois attribuer la longueur du conseil. Il faut que je jette les yeux sur la lettre de Lovelace. Mais non, je veux me refuser cette curieuse lecture, jusqu’à l’arrivée d’une réponse encore plus curieuse qui me tient en suspens. Pardonnez, ma chère, si je vous fatigue ainsi par mes incertitudes ; mais je n’ai rien de plus à cœur, et ma plume suit le mouvement de mes espérances et de mes craintes ; deux vents assez tumultueux qui m’agitent. Lundi au soir.