Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/274

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point sans être mieux informée. Si je parviens à l’être, comme je l’espère de mon adresse, et si je découvre ce que je ne fais qu’entrevoir, votre homme est un diable, un monstre abominable. J’aimerais mieux vous voir… j’ai pensé à dire, à M Solmes, qu’à lui. Mais, en attendant mes informations, voulez-vous savoir comment il pourra s’y prendre, après toutes ses offenses, pour ramper adroitement jusqu’à vous ? écoutez-moi. Il fera d’abord plaider pour lui l’excellence de son caractère ; et ce point une fois accordé, l’insolence de ses emportemens disparaîtra. Il ne lui restera plus qu’à vous accoutumer à ses insultes, et à vous faire prendre l’habitude de les pardonner à ses alternatives de soumission. L’effet de cette méthode sera de briser en quelque sorte votre ressentiment, en ne permettant jamais qu’il soit de longue durée. Ensuite un peu plus d’insulte, un peu moins de soumission, vous conduiront insensiblement à ne plus rien voir que de la première espèce, et jamais rien qui ressemble à la seconde. Alors vous craindrez d’irriter un esprit si bouillant ; et vous parviendrez enfin à prononcer si joliment et si intelligiblement le mot d’ obéissance , que ce sera un plaisir de vous entendre. Si vous doutez de cette progression, ayez la bonté, ma chère amie, de prendre là-dessus le jugement de votre mère. Passons à d’autres sujets. Votre histoire est devenue si importante, que je ne dois pas m’arrêter à des lieux communs. Aussi ces légères et badines excursions sont-elles affectées. Mon cœur partage sincérement toutes vos disgrâces. L’éclat de mes lumieres est obscurci par des nuages humides. Mes yeux, si vous les pouviez voir dans le moment où vous les croyez aussi gais que vous me l’avez reproché, sont plutôt prêts à se mouiller de larmes, sur les sujets même que vous regardez comme le triomphe de ma joie. Mais à présent, la cruauté inouie et la malice obstinée de quelques-uns de vos amis (de vos parens, devais-je dire : c’est une erreur où je retombe toujours), l’étrange détermination des autres, votre démêlé présent avec Lovelace, et l’approche de votre entrevue avec Solmes, dont vous avez raison d’appréhender beaucoup les suites, sont des circonstances si graves, qu’elles demandent toute mon attention. Vous voulez que je vous donne mes conseils sur la conduite que vous devez tenir avec Solmes. C’est exiger au-delà de mes forces. Je sais qu’on attend beaucoup de cette entrevue, sans quoi, vous n’auriez pas obtenu un si long délai. Tout ce que je puis dire, c’est que, si vous ne vous rendez pas en faveur de Solmes, à présent que vous vous croyez si offensée par Lovelace, rien ne sera jamais capable de produire ce changement. Après l’entrevue, je ne doute pas que je ne sois obligée de reconnaître et que tout ce que vous aurez fait et tout ce que vous aurez dit, sera bien, et ne pouvait être mieux. Cependant, si je pense autrement, je ne vous le dissimulerai pas. Voilà ce que je ne balance pas à promettre. Je veux vous animer un peu contre votre oncle même, si vous avez occasion de lui parler. Ressentez-vous du traitement insensé auquel il a eu tant de part, et faites-l’en rougir, si vous le pouvez. En y pensant bien, je ne sais si cette entrevue, dans quelque espérance qu’on l’ait désirée, ne peut pas tourner à votre avantage. Lorsque Solmes reconnaîtra (du moins si vos résolutions se soutiennent) qu’il n’a rien à